On ne s’imagine pas qu’en rentrant à l’Association Cinéphile de Dauphine, on a l’occasion de partir à la Berlinale, au Festival de Cannes et à la Mostra de Venise en l’espace de moins d’une année. Et pourtant, l’ACD m’a fait pousser des ailes. C’est ce que je me suis dit au début d’août 2024, lorsque, après avoir vu la Berlinale et Cannes, je me suis demandée : pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? J’ai candidaté pour avoir l’accréditation étudiante de la Mostra – qui est ouverte à tous.tes les étudiant.es, que vous soyez engagé.e dans une association de cinéma ou non, ce qui est une chance et une forme de démocratisation par rapport à Cannes qui est un événement plus restreint – et j’ai été acceptée deux jours plus tard. J’ai réservé mon vol aller-retour, une place en auberge de jeunesse, et je me suis envolée un mois plus tard avec quelques robes et des vêtements légers dans ma valise, sans aucune autre forme d’organisation.
Avant mon départ, mes proches m’ont demandé si je n’avais pas peur de vivre mal cette aventure en étant seule. Cela pouvait en effet paraître étrange de partir seule dans la ville de l’amour, celle où viennent les jeunes mariés pour leur lune de miel, ou les vieux couples (comme mes parents) pour un week-end en amoureux. « Et pourtant », comme dirait Charles Aznavour, ce voyage m’a fait un bien fou. J’ajouterais même qu’il n’y a de meilleurs endroit pour être seule qu’un festival de cinéma : on peut non seulement voir les films qu’on veut quand on le veut, avancer à son rythme, mais aussi parler à des inconnus venus des quatre coins du monde, très ouverts à la discussion car ils sont venus eux aussi seuls ou seulement car ils ont très envie de partager leur ressenti sur ce qu’ils viennent de voir et d’expérimenter.
Mais surtout, être seule permet aussi de se ressourcer, car être dans un festival de cinéma demande une énergie et une concentration folles : on passe de comédie à tragédie comme si on changeait de veste, on a à peine le temps de comprendre le film et les émotions qu’il nous donne tant on passe vite au suivant, et on peut voir jusqu’à cinq films par jours si on a décidé d’affronter le festival comme on affronterait une guerre. Comme le montrait le philosophe et sociologue allemand Georg Simmel pour analyser la vie psychique des populations des grandes villes dans « Métropole et mentalités », une « grande vie intellectuelle » implique chez l’individu des « stimulations nerveuses, caractérisées à la fois par le changement rapide et la concentration étroite de leurs contrastes ». Selon Simmel, être volontairement seul et adopter une attitude blasée permet de se protéger psychiquement d’un épuisement nerveux. Et c’est exactement ce que me permettait ma solitude à la Mostra. Les conditions étaient donc réunies pour profiter au maximum de cette opportunité.
Être seule m’a également permis de rencontrer des personnes dans mon auberge de jeunesse. Celle-ci étant à deux pas de la place Saint-Marc, je prenais chaque matin le vaporetto pour me rendre au Lido, l’île où se déroule la Mostra. Je passais chaque matin devant les deux colonnes de la Piazzetta San Marco, l’une servant de piédestal à Saint Théodore, et l’autre au Lion de Saint Marc, le lion ailé qui a inspiré le trophée du Lion d’or de la Mostra et qui est également l’emblème de la ville.
Le premier jour où je me suis rendue au Lido, j’ai d’abord assisté à la masterclass d’Ethan Hawke. Quand j’étais petite, ma mère m’avait emmenée voir Before Midnight lors de sa sortie, en VO, alors que je ne parlais pas un mot d’anglais. En sortant de la séance, elle m’avait demandé si j’avais bien aimé, et je lui avais répondu « Oui, mais j’ai pas tout compris ». Toutes ces histoires d’amour et problèmes de couple étaient incompréhensibles pour moi, mais en grandissant, j’ai vu et revu cette trilogie, en n’ayant pas le moindre soupçon du monde qu’un jour, à mes 21 ans, Ethan Hawke se tiendrait à moins d’un mètre de moi.
J’ai aussi vu Peter Weir et Pedro Almodóvar sur le tapis rouge, les deux ayant été couronnés l’un par le Lion d’or d’honneur pour l’ensemble de sa carrière, et l’autre par le Lion d’or de cette 81ème compétition. Dans un autre registre, j’avais aussi vu Kad Merad à l’aéroport lors de mon arrivée à Venise, avant de le voir à l’écran dans un film que j’ai profondément détesté, le dernier Claude Lelouch, Finalement. Il n’y a pas d’endroit au monde où l’on puisse croiser autant de stars que dans un festival de cinéma et, que l’on en soit fanatiques ou non, cela nous fait toujours de l’effet.
Un après-midi, ayant du temps libre entre deux séances, je suis allée me promener sur la plage la plus proche du Palais du cinéma. J’ai marché sur la sublime plage de sable blanc, entre des jolies cabines en bois drapées d’un voile blanc jonchant les allées, et je me suis sentie comme transportée. Je l’ai soudain reconnue : c’était la plage où avait été tourné Mort à Venise de Visconti, que j’avais découvert l’été précédent. C’est dans ce genre d’endroits, traversés par l’histoire et parsemés de symboles, qu’arrivent toujours ces rencontres impromptues avec le cinéma qui rendent le lieu encore plus magique à nos yeux.
Mais, la Mostra de Venise, ce n’est pas que la découverte de lieux exceptionnels et la rencontre d’acteurs ou de réalisateurs de renom, c’est surtout une opportunité pour découvrir les nouvelles pépites cinématographiques qui ne sortiront sur les écrans que bien plus tard. Si je devais n’en retenir que deux, les films qui m’ont le plus marquée pendant ce festival sont Jouer avec le feu des soeurs Delphine et Muriel Coulin et The Room Next Door de Pedro Almodóvar, dont voici mes courtes critiques Letterboxd :
- Jouer avec le feu : Il y a peu de films devant lesquels je pleure mais quand je le fais ce n’est pas que le film est triste mais qu’il m’a profondément touchée, et c’est ici le cas. C’est un film à voir absolument dans une France extrêmement divisée politiquement, comme le montrent les résultats des dernières élections. Benjamin Voisin joue toujours aussi bien le rôle du voyou à la fois attachant et méprisable, un personnage qu’il a déjà adopté dans Été 85 et dans Illusions perdues. Mais c’est surtout Vincent Lindon qui interprète avec brio son rôle de père désemparé face à un fils qui vrille totalement, et pour lequel il a reçu un prix d’interprétation masculine amplement mérité. En somme, c’est un film sociologique et politique, qui a su s’intéresser aux grands oubliés des classes sociales : les classes moyennes.
Source : site d’Ad Vitam Distribution.
- The Room Next Door : Mon film préféré de la Mostra. Almodóvar a réalisé un coup de maître et, de même que l’on dit que la qualité du maître tient en grande partie de celle de ses élèves, il n’en serait rien sans le talent à couper de souffle de Julianne Moore et de Tilda Swinton. Julianne Moore, qui avait elle-même incarné puissamment un rôle de femme attaquée par une maladie grave (l’Alzheimer) dans Still Alice, prend cette fois le rôle d’une femme qui accompagne une vieille amie à traverser un cancer du cerveau et son recours à une euthanasie illégale. C’est dans ce dernier rôle que Tilda Swinton ne manque pas d’impressionner son public, qui en reste sans voix. Si le scénario peut paraître démoralisant, le sujet est traité de manière très intéressante et intelligente par le livre de Sigrid Nunez, dont le film est l’adaptation. Le cancer n’y est pas abordé de manière misérabiliste, puisqu’il est question de prendre son destin en main et de décider de mourir dans la dignité. Puisque la fin est prévisible, malgré un suspense tangible, l’histoire tourne surtout autour de la relation d’amitié qui se renforce entre les deux femmes et de ce qu’elles apprennent de l’expérience de l’autre. Outre un scénario intelligent, la mise en scène est époustouflante et offre au film sa beauté dans la forme.
Source : Vanity Faire US, 3 septembre 2024.
Il est ainsi incroyable d’avoir vu, lors de mon dernier soir à la Mostra, Vincent Lindon et Pedro Almodóvar monter sur le tapis rouge avant d’être couronnés lors de la cérémonie de clôture du festival. J’avais alors la sensation, devant les grands écrans projetés devant lesquels les festivaliers vivaient en direct ce moment, d’avoir participé à cette grande aventure et d’avoir en un sens, en faisant partie du public qui a adoré ces deux films, décidé du sort qui leur serait réservé.
L’ACD vous souhaite de découvrir ces films qui vous emmèneront dans un aussi beau voyage que celui de la Mostra !
Diane Delacruz