Cette semaine, l’ACD se penche sur un grand classique du cinéma. 

TW : viol, agressions sexuelles

Eh oui, pour l’Été ciné, quoi de mieux qu’un road movie pour figurer le thème de l’aventure, du changement de cap que symbolisent les vacances et l’avènement d’une nouvelle année ? (L’occasion d’ailleurs de vous faire deux petites recos : si c’est pas déjà fait, Sailor et Lula, et surtout Paris, Texas sont à voir absolument). J’ai longtemps eu une certaine appréhension à vouloir Thelma et Louise. Je pensais bêtement que c’était soit pendant l’enfance ou l’adolescence et ça fait partie de ta culture (qu’elle soit féministe ou pas d’ailleurs), ou alors c’était trop tard. Tu sais, comme cet a priori qui voudrait que si on n’a pas maté ou lu les classiques dans sa « jeunesse », ben c’est trop tard. NON : il n’est jamais trop tard ! Bref, revenons à nos moutons : pour moi, Thelma et Louise, c’est avant le film la chanson de Poupie. A la fin du refrain, elle chante :

J’commence en intérim’, j’finirai en Tesla
J’voudrais vivre ma vie comme Louise et Thelma

Puis un peu plus tard :

Comme Louise et Thelma
J’veux prendre la route, seulement revenir si ça manque tellement

(32) Thelma and Louise – Original Trailer | MGM – YouTube

Du coup, ça me donne l’image d’un film qui raconterait l’histoire d’une success story de femmes. Le Bonnie&Clyde version girlpower. Ça en ferait donc un film féministe, qui est d’ailleurs culte pour beaucoup de femmes activistes. A la rentrée dernière, je discutais ciné avec une copine : Thelma et Louise était son film préféré et, sinon le point de départ, un jalon important de son émancipation féministe. Ici, la scénariste Callie Khouri, « nourrie du rôle passif des femmes au cinéma », décide de porter deux femmes à l’écran pour la première fois. Alors, ça donne quoi ? Comment peut-on revisiter ce classique à l’aune du féminisme d’aujourd’hui ?

Ridley Scott sort son film en 1991. Celui-ci n’a d’ailleurs failli ne jamais voir le jour, les producteurs hollywoodiens étant trop réticents à l’idée d’un tel scénario qui viendrait bousculer le genre. Nous sommes en effet à une époque de backlash du féminisme qui se répercute sur le cinéma occidental, comparé à l’effervescence de la deuxième vague des années 70. Y a-t-il d’ailleurs des films « féministes » qui sortent en salle à l’époque, si ce n’est peut-être Thelma et Louise ? Après tout, peut-on dire que c’est l’exception qui confirme la règle ?

D’abord, il faut noter que le film sort du lot par l’originalité de son intrigue (en tout le moins novatrice à l’époque). En effet, et c’est là l’essence d’un road movie, nos protagonistes fuient une condition limitante et enfermante certes, mais surtout intimement liée à leur destin de femmes. Nous avons affaire à Louise, serveuse toute pimpante dans un diner qui peine à mettre de l’argent de côté et son amie Thelma qui n’est autre qu’une femme au foyer violentée psychologiquement (et sûrement physiquement) par son mari. Comme elles en ont l’habitude, elles décident de s’esquiver un temps et prennent la route au volant d’une décapotable pour l’Utah. Mais rapidement, c’est bien leur condition de femmes qui les rattrape : le film relate alors comment cette échappée, qui se voulait être un week-end léger entre meilleures amies tourne littéralement au cauchemar, et ce à partir d’une scène de viol fondatrice qui conduit à une fuite en avant de nos deux protagonistes. Le destin s’acharne, et le road trip se fait prendre à son propre jeu et tourne rapidement à la cavale. Ce qui m’apparaissait à première vue comme un film léger gentiment empowering s’installe donc très rapidement dans la violence, violence qui poussera Louise et Thelma à commettre l’irréparable. L’affiche officielle du film détonne alors avec la réalité de ses rebondissements.

Ne nous y méprenons pas : il ne s’agit pas de dire que le film contraste par sa dureté d’un genre cinématographique du road movie habituellement léger. Pour rappel, si les personnages s’évadent, c’est d’abord pour fuir une condition qui les accable dans une quête de liberté et la poursuite d’un avenir meilleur. Ici en fin de compte, le tour de force du film consiste surtout à montrer les limites de la recherche d’émancipation des femmes, et comment celle-ci se heurtent à des structures de domination tellement ancrées qu’elles ne cessent jamais de les contraindre. Et c’est d’abord à travers la violence du rapport aux hommes que cela se perçoit : le premier soir, Thelma recherche dans la séduction hétérosexuelle l’amusement et Thelma et Louise, qui voulaient fuir les hommes et leur lot de brutalité sont rattrapées par ceux-ci dès la boîte de nuit. Louise reproche ainsi à son amie son insouciance, qui à ses yeux leur coûtera l’adieu à leur vie d’avant et un impossible retour en arrière, et en ce sens incarne l’idée dominante de l’époque pré-MeToo selon laquelle la responsabilité de ne pas se faire agresser revient d’abord aux victimes. L’intransigeance quant à la bonne conduite qui incomberait à la femme instaure une ambiguïté dans la relation de nos deux héroïnes, où Louise, malgré son explicite misandrie, est donc au début à la fois celle qui libère, et celle qui entrave. La relation problématique aux hommes n’est d’ailleurs pas l’apanage de Thelma, puisque le couple que Louise forme avec Jimmy (que l’on aperçoit bien plus tard) qui se voudrait en rupture avec le reste (ce que met en avant explicitement le film à mes yeux par contraste avec la relation de Thelma et son mari on ne peut plus macho), est lui aussi caractérisé par la violence, ici physique. A la rigueur, le personnage qui ressortirait à l’écran serait celui incarné par Brad Pitt (qui d’ailleurs s’est vu propulser sa carrière grâce à ce rôle), dont la nuit avec Thelma, qui comprend enfin ses désirs, achève de convaincre celle-ci de la nullité de son mari, malgré une scène de sexe bien légèrement male gaze.

Une question reste cependant en suspens : que faire de la place du policier de l’Arkansas qui fait figure de personnage tiers, le seul à même de percevoir la fuite en avant qu’impose Louise à Thelma comme étant liée à ses propres traumatismes ? Quelle crédibilité accorder à un tel rôle, lorsque l’on sait que la police, et par dessus tout celle américaine, sont au premier rang des discriminations faites aux femmes ?

Pour finir, illustrant peut-être la recherche pour deux femmes de l’impossible, mais aussi l’avènement d’une sororité à toute épreuve, Thelma et Louise est un film plus « sérieux » qu’il n’y paraît, bien qu’il remobilise les clichés hollywoodiens à travers une BO classique et la vue époustouflante de paysages à perte de vue. L’ACD vous invite donc à découvrir ce film !

Marion Ruellan

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