Un film mélancolique et bercé par une bande originale exceptionnelle qui raconte l’éducation d’un garçon au féminisme.

Ce film, oscillant entre comédie et drame, dépeint le quotidien de Jamie, un adolescent de quatorze ans qui vit avec sa mère, Dorothea, à Santa Barbara en Californie. En 1979, Dorothea, voyant son fils changer et lui échapper pendant cette période cruciale de sa vie, demande de l’aide à Abbie, une jeune femme qui loue une chambre chez elle, et à Julie, l’amie de Jamie. Ensemble, elles vont aider Jamie à grandir et à devenir un homme bien.

Sans figure paternelle présente dans sa vie, Jamie n’a pas de modèle masculin et va davantage s’appuyer sur les expériences de vie que ces deux jeunes femmes féministes lui partagent, l’aidant ainsi à bien se comporter en tant qu’homme dans ce monde où, à la suite des mouvements féministes, le genre est en plein bouleversement.

Eduquer un homme

Bien que le personnage principal du film soit Jamie, le titre ne parle pas de « man » mais bien de « women » puisque ce sont les femmes qui sont véritablement centrales dans ce film. Sans se vouloir moraliste, ce film nous rappelle que ce sont rarement les hommes qui nous éduquent et qui nous apprennent la vie, mais bien des femmes. En effet, lorsque Julie demande à Dorothea : « N’a-t-on pas besoin d’un homme pour élever un garçon ? », cette dernière répond : « Non, je ne pense pas. » Dans ce film, Jamie se construit à travers sa mère, à travers son amie Abbie, et à travers la fille qu’il aime et qui le rejette, Julie. Ce film redonne aux femmes le rôle essentiel qu’elles endossent généralement en faisant grandir les hommes, tandis qu’elles sont généralement effacée dans l’histoire ; derrière la construction de chaque homme, il y a surtout des femmes.

S’engage aussi toute une réflexion sur ce que doit être l’éducation d’un homme de nos jours (le film étant sorti après le mouvement #MeToo) : Dorothea dit que les hommes ne peuvent plus être ce qu’ils étaient, et qu’ils ne savent pas encore où ils vont et ce que veut dire être un homme bien désormais. En effet, dans les années 1970, les divers mouvements féministes ont remis radicalement en question les rôles genrés et ont engagé un véritable bouleversement du genre.

Portraits de femmes

Les trois femmes sont incarnées par trois grandes actrices, Annette Bening, Greta Gerwig et Elle Fanning. Toutes se situent à trois âges différents de la vie, et représentent chacune une facette potentielle de la vie d’une femme.

Dorothea, 55 ans, dessinatrice, est la mère de Jamie. Elle est divorcée et doit affronter seule l’arrivée de la vieillesse et le fait de ne plus comprendre son fils en pleine adolescence. La psychologie de ce personnage est développée dans sa complexité et dans son mystère, le réalisateur parlant en vérité de sa mère et de la relation qu’il avait avec elle, adolescent. Dorothea a de l’humour, peut parfois avoir des comportements étranges, à côté de la plaque (elle invite à son dîner d’anniversaire le pompier qui a éteint l’incendie déclenché sur sa voiture le jour-même), elle fume sans arrêt mais met en garde les jeunes qui fument. Elle semble, dans le fond, très triste, mais garde en elle ses émotions, subit en silence, et demeure en cela très mystérieuse aux yeux de son fils.

Abbie, 24 ans, est une jeune photographe. Elle a des cheveux rouges coupés courts, porte des vêtements très colorés et écoute du punk. Elle a le projet de réaliser son auto-portrait en prenant des photographies des objets qui lui appartiennent. Très féministe, elle offre à Jamie des livres qui abordent la sexualité féminine, le vieillissement, l’âgisme que subissent davantage les femmes que les hommes, la menstruation… Ayant eu un cancer du col de l’utérus, elle apprend qu’il lui sera impossible de porter un bébé, ce qui bouleverse sa vie de femme et l’oblige à la repenser différemment. Avec elle, Jamie apprend à être à l’écoute de l’autre et à épauler son amie, quand sa mère lui dit justement que les hommes cherchent toujours trop à apporter une solution aux problèmes des femmes, sans se contenter de les soutenir.

Julie, 17 ans, expérimente sa sexualité avec les hommes, se dit auto-destructrice car elle multiplie ses partenaires sexuels alors qu’elle n’en tire pas vraiment de plaisir (rappelant ainsi la figure de Lux dans Virgin Suicides de Sofia Coppola) et finit même avoir peur d’être tombée enceinte. Ayant une mère psychologue, elle psychologise tous ses proches et lit des romans féministes qui parlent de sexe et d’amour. A travers son expérience, Jamie se construit comme un homme qui pensera au plaisir féminin et au respect de l’autre dans ses relations sexuelles.

Des temporalités qui se chevauchent

Le fait qu’Abbie soit photographe n’est pas anodin. En effet, pour replacer les personnages dans un contexte socio-historique, des images d’inconnus et de paysages qui incarnent certaines époques surgissent dans le film : des jeunes jouant dans des groupes de punk-rock ou dansant en boîte de nuit pour illustrer l’adolescence de Jamie, des images de la Grande Dépression pendant laquelle Dorothea a grandi, des images d’événements historiques et politiques.

Le réalisateur utilise aussi comme technique le chevauchement des strates temporelles pour faire resurgir des images du passé et pour montrer, à la fin du film, le destin des différents personnages. Ainsi, des flashbacks et des flashforwards faits d’images impersonnelles qui illustrent le récit, en voix off, de Dorothea ou de Jamie, entrecoupent l’histoire pour conter la vie des protagonistes. Par ailleurs, ce même effet est recherché dans la bande originale du film, qui fait se croiser les époques avec des musiques de Louis Armstrong, des Talking Heads, de Devo et de David Bowie, ainsi que d’intemporelles compositions de Roger Neill. Ce procédé, qui nous donne l’impression que des années s’écoulent soudain en un instant, berce le film d’une mélancolie et d’une nostalgie associées à l’idée que l’instant présent est précieux et fugace et que le temps nous échappe sans arrêt.

Une réflexion universelle sur les relations humaines

Ce procédé cinématographique est troublant et déchirant lorsque, à la fin du film, il nous fait voir ce que deviendront les personnages lorsqu’ils prendront chacun des chemins différents. C’est alors que l’on se rend compte que, si les relations qui se nouent en 1979 entre ces cinq personnages ont beau être les plus importantes à leurs yeux à ce moment-donné de leurs vies, elles n’en sont pas moins éphémères. C’est une réflexion plus globale et très universaliste sur les relations humaines que chacun de nous connaît et cherche dans sa vie — les amitiés, les liens familiaux et les amours — qui s’amorce. Ce film montre ainsi des existences croisées et des connections qui sont à la fois personnalisées mais, en même temps, universelles.

Ce film, en montrant le rôle de la famille, des proches, des médias et du contexte socio-historique dans la socialisation d’un individu, a de ce fait une dimension sociologique qui rappelle la vision qu’Annie Ernaux avait de l’individualité, dans un entretien de 1997, lorsqu’elle disait qu’« Il n’y a pas de moi, de personne en soi, d’individu. On est le produit de différentes histoires familiales, de la société ». Ces différentes instances de socialisation de l’individu sont montrées, dans ce film, comme étant d’une importance majeure : nous ne nous faisons pas nous-même, et Jamie ne pourrait pas devenir l’homme qu’il deviendra s’il n’était pas influencé par ces trois femmes qui le façonnent, plus ou moins consciemment, à leur image.

Diane Delacruz

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