L’Amitié d’Alain Cavalier
Plus espiègle que jamais, le « filmeur » Alain Cavalier et sa fameuse petite caméra portée reviennent en 2023 avec un documentaire bouleversant sur le temps qui passe et les amitiés qui restent.
Voilà un homme qui a tourné avec les plus grand.e.s du cinéma : Delon, Trintignant, Deneuve, Lindon et qui décide qu’après l’immense succès de Thérèse en 1986, il ne s’enquiquinera plus des strass et des caprices des acteur.rice.s . Cavalier, qui ne fait jamais cavalier seul (obligé de la faire), s’entoure de trois amis et enregistre les petits instants de poésie qui éclatent du quotidien. Il y a d’abord Boris (Bergman), parolier d’Alain Bashung, qui a bien du mal à retrouver ses affaires dans son capharnaüm. Il y a ensuite Maurice, dit Momo, ancien producteur de films indépendants et papy hyper chic aux ourlets relevés de 5 cm… et ça compte ! Enfin vient Thierry, qui a joué dans Libera Me, et qui maintenant est coursier, fin cuisinier et un petit joint au bord des lèvres.
Qui aurait pu penser qu’un cinéaste de 91 ans signerait un film si désinvolte et indépendant ? Le seul outil d’Alain Cavalier est une petite caméra portée, la même qu’on offre à votre petite cousine à Noël et qui s’amuse avec toutes les options et tous les zooms possibles. Dans L’Amitié, il y a une intelligence du point de vue. La caméra est libre mais jamais incontrôlable. Le réalisateur écoute, n’exploite jamais avec obscénité les mots de ces amis qui ont tous les trois un point commun : ils aspiraient chacun à une autre vie. Le premier voulait chanter plutôt qu’écrire. Le deuxième se serait bien vu metteur en scène, à l’instar de Robert Bresson dont il produisit Le Procès de Jeanne d’Arc. Le dernier rêvait d’être capitaine de navire.
La mélancolie accompagne des instants drolatiques pendant lesquels Cavalier capte des moments de vie, des histoires individuelles bouleversantes. Une amitié, ça se construit et surtout ça s’entretient. Il n’y a qu’à entendre les rares paroles du réalisateur dans le film pour comprendre qu’il fait un chouette copain. Un rien l’émerveille : un lit bien fait, un parfum de cannabis dans la buanderie de Thierry. C’est ça la force du cinéma d’Alain Cavalier : aller de l’individuel à l’universel. L’Amitié est une œuvre revivifiante d’un jeune cinéaste de 91 ans.
Suzume de Makoto Shinkai
Suzume a 17 ans. Elle habite une ville portuaire du Japon, dans la région de Kyushu. Au départ, ce n’est qu’une histoire de regard. Suzume a le coup de foudre pour Sota, un beau garçon aux cheveux longs, un brin mystérieux, comme l’animation japonaise sait si bien les faire. Suzume suit Sota qui se révèle être un « gardien de portes », empêchant ainsi la destruction du monde par un monstre géant entrant par ses portes. De difficultés en difficultés, les personnages s’ouvrent, révélant des secrets douloureux, dont certains étaient enfouis pour toujours.
Je vous le dis tout de suite, c’est moins bien que Your Name. Suzume n’en a pas l’ampleur ni la fulgurance. Reste qu’un petit Makoto Shinkai sera toujours meilleur que tous les films médiocres possibles et inimaginables, voilà. Il est difficile de comprendre tous les symboles que suggère Suzume si l’on ne connaît pas très bien la culture nippone. Cependant, l’animation est toujours splendide et on prend le temps de l’admirer grâce à une intrigue haletante. Mention spéciale pour le petit chat, Daijin, un dieu anthropomorphisé espiègle et provocateur. Le réalisateur en appelle à Miyazaki et, effectivement, on peut noter des petites références aux films du maître de l’animation japonaise. Pourtant, ces deux dessinateurs ne travaillent pas la même matière. Miyazaki est un cinéaste pointilliste, qui joue sur la suggestion et l’intelligence du spectateur. Shinkai est bien plus dans l’intention, dans la monstration, à tel point qu’on suffoque un peu par moment.
Le film se décompose en deux grandes parties équivalentes. La première expose et la seconde creuse la psyché des personnages. C’est cette dernière qui est la plus bouleversante car subitement, l’action se suspend, ne laissant place qu’aux émotions de Suzume et Sota. Et quel dommage de ne pas avoir un b.o. aussi qualitative que celle de Your Name.
Omer Gourry