Auréolé du Lion d’Or lors de la dernière Mostra de Venise, le réalisateur grec signe un film dont le message tourne à vide
« Plus ça change, plus c’est la même chose » écrivait le journaliste Alphonse Karr dans son recueil Les Guêpes en 1849. Cette phrase assassine prend toute son acuité dès que l’on s’attarde un tant soit peu sur le monde du cinéma. Alors que cette industrie connaît des mutations profondes en son sein depuis plusieurs années, les jurys de festival n’ont de cesse de persévérer dans leur incapacité à voir et récompenser les films. Damien Chazelle, président du jury de la dernière Mostra de Venise, était accompagné, entre autres, de Jane Campion, Mia Hansen-Løve, Laura Poitras ou encore Shu Qui pour couronner une des plus grandes impostures cinématographiques de ces derniers temps.
Avec le premier plan d’une femme au bord du précipice, assez beau visuellement, on avait pourtant presque envie d’y croire. C’était sans compter sur la fatidique 2ème minutes qui allait annoncer le dégueulis à venir pour les prochaines 2h30 du film. Bella (Emma Stone) a été ramenée à la vie par le brillant docteur, aux méthodes peu orthodoxes, Godwin Baxter (Willem Dafoe) après que ce dernier a remplacé le cerveau de Bella par celui de son bébé alors encore dans son ventre. Bella doit donc tout réapprendre. Avide de découvrir le monde pour se former une « éducation », elle est accompagnée dans son périple par un avocat manipulateur, Duncan Wedderburn (Mark Ruffalo), qui utilisera Bella à des fins abjectes. Il s’agit donc pour Lanthimos, de partir d’un personnage absolument neutre et non corrompu, et de lui infliger les pires sévices pour en extraire l’inhumanité profonde qui gouverne nos sociétés. Pauvres créatures est ainsi décomposé en plusieurs parties, marquées par des transitions pachydermiques, qui chacune raconte une étape supplémentaire dans l’éducation de Bella.
Au commencement était le verbe
L’apprentissage de la parole amorce le film dans un noir et blanc de pur poseur, sans justification aucune. Willem Dafoe, dont la tête de savant fou est visiblement passée sous un train, cachetonne sous couverts de gargarismes inopinés et s’improvise précepteur en compagnie d’un jeune stagiaire. Lanthimos déforme, manipule sans cesse l’image à grands coups de fish-eye, plan rase-moquette et de contre-plongées énormes ; tout cela au service de scènes puériles. Après la parole, vient le sexe, car dans l’esprit du réalisateur, une femme ça doit savoir parler – pas trop quand même – et surtout faire beaucoup l’amour quand bien même cela serait sous emprise. Pour la morale féministe de ce pseudo-conte voltairien, on repassera. L’éducation sexuelle passe d’abord par une insertion méticuleuse de divers objets dans le sexe de Bella. Difficile à ce moment-là de ne pas imaginer le rire infantile du réalisateur au moment du tournage qui prend un malin plaisir à voir son actrice satisfaire son scénario pervers et qui pose sur l’écran un étron ornementé de fioritures.
Fuite en arrière
Quand le Dr.Baxter contraint Bella à rester prostrée dans ce cabinet des horreurs gynécologiques, elle s’enfuit aux côtés de Weddeburn, qui usera de son influence pour abuser allègrement de sa proie car cette dernière ne peut réagir à cause de son âge mental enfantin. Après une croisière et différentes haltes notamment à Lisbonne ou Paris, Bella se découvre une grande empathie dans un monde nihiliste construit de toutes pièces par un réalisateur misanthrope. Le sujet est d’autant plus faible scénaristiquement que Lanthimos dilapide son film dans des décors monumentaux mais inefficients. On ne reviendra pas sur la prétention de ce réalisateur qui depuis toujours adore filmer la souffrance humaine souvent de très haut avec un regard démiurgique ou alors de très près pour imposer au spectateur le spectacle d’une image ignoble. Après moultes pérégrinations, Bella atterrit dans un bordel et acquiert une conscience de l’ignominie des hommes. Mais à quel prix ? Fallait-il passer par une série de souffrances psychologiques et physiques d’une complaisance invraisemblable pour en arriver là ?
Mais qu’allait-t-elle faire dans cette galère ?
On peut lire ici ou là dans la presse que la faiblesse du film est sauvée par l’interprétation magistrale d’Emma Stone. J’acquiesce, à condition de considérer qu’une interprétation magistrale se résume à une manipulation perverse de l’actrice par le réalisateur (quid du male gaze) sans jamais lui laisser le moindre espace d’interprétation. Actrice à la filmographie entachée, réalisateur perdu à jamais, voilà le spectacle auquel on assiste alors que la salle applaudit à bâtons rompus. Ce film pose une brique supplémentaire sur l’imposture des jurys de festival qui, manifestement, découvrent le cinéma pendant leurs 10 jours d’astreintes. De même qu’il existe une morale du regard au cinéma, il existe une responsabilité des jurys. Reste à savoir si celui du festival de Cannes, présidé par Greta Gerwig, sera infecté par cette vision du cinéma qui salit profondément.
Omer Gourry