Certains l’entendent directement comme un sentiment universel, témoin d’une affection forte portée à un ou plusieurs êtres en particulier. Et pourquoi pas même pour d’autres, un fleuve séparant la Chine de la Russie. Pourtant l’Amour, peut-on seulement le définir ? Michael Haneke (La Pianiste, Funny Games) a tenté de relever le défi en 2012 avec son film Amour , nous plaçant comme témoin invisible d’une relation bousculée par la maladie.
Georges (Jean-Louis Trintignant) et Anne Laurent (Emmanuelle Riva), deux octogénaires retraités de leur carrière de professeurs de musique, voient leur amour fragilisé suite à l’attaque cérébrale paralysant Anne du côté droit. Georges souhaite rester fidèle à la promesse faite à Anne : ne plus jamais la ramener à l’hôpital. Car si les mots ne permettent pas toujours de rendre grâce à la puissance de celui-ci, les regards de ces deux amants illustrent parfaitement l’Amour avec un grand A. Jean-Louis Trintignant, bouleversant de justesse, traduit à travers de simples gestes tendres, l’étendue des sentiments de Georges pour son épouse. Quelques pas, bras dessus bras dessous, dans l’appartement du couple qui semblent des kilomètres pour Anne, des têtes à têtes où le regard de celle-ci paraît s’égarer au loin… Ou encore une simple caresse de la main sur la joue faisant naître celle d’une larme sur la nôtre.
Pourtant, aimer ne constitue pas toujours un bouclier aux sentiments plus négatifs. Georges voit par moments son amour pour Anne se teinter de colère, d’autres fois d’une profonde tristesse ; l’injustice du lourd fardeau à tenir ensemble contre ce qui aurait pu être une fin de vie pour Anne, mais aussi pour eux, plus douce. La dégradation de l’état de santé d’une personne n’est pas uniquement le combat de celle qui la subit, mais aussi de son aidant. Ces êtres trop souvent oubliés, et pourtant si investis dans le quotidien de celles et ceux qu’ils aiment et soutiennent littéralement à bout de bras. Bien que diminuée, Anne n’est pas pour autant remplacée dans les yeux de son conjoint par son état fragilisé. Le passé commun ne disparaît pas avec les facultés motrices de l’un affaiblies au présent : les photos, les souvenirs, parfois même de timides sourires, sont autant de preuves d’une histoire que rien ne saura arrêter. L’ultime preuve d’Amour de Georges, dans une scène frappant autant par son réalisme que sa violence, vaut à elle seule toutes les déclarations passionnées possibles.
L’interprétation quasi muette mais pour le moins déchirante d’Emmanuelle Riva lui vaudra le prix de Meilleure actrice ainsi qu’une standing ovation lors de la 38ème cérémonie des César, sans oublier son partenaire Jean-Louis Trintignant pour la catégorie du Meilleur acteur. Grand vainqueur de la Palme d’or, en passant par plusieurs autres César pour son réalisateur, ainsi que l’Oscar du Meilleur film étranger ; Amour obtient alors en 2013 le statut de premier film non-anglophone à avoir cumulé autant de récompenses.
Emmanuelle Riva définissait Amour comme le nom d’une troisième personne, sûrement une réponse courte mais tout aussi belle au mystère de ce que serait l’Amour. L’actrice et poétesse disparaît le 27 janvier 2017, suivie de Jean-Louis Trintignant le 17 juin 2022. Cette critique, dont la rédaction fut en toute transparence accompagnée de quelques larmes, constitue dans le même temps un hommage à deux acteurs français brillants qui auront su émouvoir et continueront de nous faire sourire, pleurer à travers leur jeu et nous rappeler sûrement le plus important avec celui-ci… La force d’aimer.
Albane Perrot
Vos mots sont d’une émouvante justesse. L’intensité et la puissance de ce film résonnent pour longtemps en nous, tant est palpable la sensibilité du jeu de ces si grands acteurs.
Merci beaucoup pour votre commentaire. Il m’est toujours difficile d’écrire sur l’émotion qu’a pu me procurer un film, et il faut bien avouer que cette énième réflexion sur Amour fut aussi intense que le premier visionnage.