Comme chaque année, à la même période, vers la fin du mois de mai, l’ACD quitte Dauphine. Rassurez-vous, aucun contentieux avec l’administration n’a été notifié ; notre bande de cinéphile part simplement faire la bringue et se gaver de films sur la Croisette pendant 4 jours. Bus de nuit, avion à réaction, train au prix d’une allocation APL, tous les chemins mènent à Cannes pour notre belle association plus amoureuse que jamais du cinéma.
Cette année, la 75ème édition du festival de Cannes se déroule du 17 mai au 28 mai. Avec un thermomètre qui frôlera les 30°C et une Méditerranée bleu turquoise, la météo devrait être idéale pour rester enfermé dans des salles de cinémas (climatisées, on l’espère). On a appris bien tard que c’est l’acteur français Vincent Lindon qui présidera le jury cette année. Il sera accompagné dans sa tâche délicate par les actrices Rebecca Hall, Deepika Padukone, Noomie Rapace, Jasmine Trinca et par les réalisateurs Asghar Farhadi, Ladj Ly, Jeff Nichols et Joachim Trier. C’est un jury paritaire (5 hommes et 4 femmes), éclectique et exigeant qui devra couronner le 28 mai les meilleurs films parmi une sélection de 21 long- métrages choisis avec soin par l’excellent Thierry Frémaux et son équipe.
Et c’est peu dire que cette édition fait saliver nos dauphinois.es car il y a du lourd, du très lourd. Certains rejouent leurs réputations malgré de multiples récompenses gagnées dans ce même festival. Ils sont nombreux cette année à avoir déjà remporté la Palme d’Or et à revenir se confronter aux griffes acerbes des festivaliers dans la sélection officielle : Mungiu (Palme d’Or en 2007 pour 4 mois, 3 semaines et 2 jours), les frères Dardenne (double Palme d’Or en 1999 pour Rosetta et en 2005 pour L’Enfant), Kore-eda (Palme d’Or en 2018 pour Une Affaire de famille), Östlund (Palme d’Or en 2017 pour The Square). Ce beau monde côtoiera les sulfureux Cronenberg et Chan-wook ainsi que d’autres grands noms comme Desplechin, Bruni Tedeschi, Denis, Dhont ou Gray.
La sélection officielle croise différents genres de cinémas et différentes ambitions plastiques. Le jury aura la lourde tâche de défricher une longue liste de films de réalisateur.trice.s talentueux.euses. D’autant qu’un jury peut faire ou défaire la réputation du festival de Cannes qui remet chaque année en jeu sa crédibilité aux yeux d’autres évènements qui se veulent plus audacieux (Berlinale, Mostra de Venise). Ils sont nombreux.euses ses président.e.s. à s’être cassé les dents car insensibles face aux chef d’œuvres qu’on leur montrait. Comment ne pas oublier le traumatisme de 2018 où Cate Blanchett et son jury étaient passés à côté de Burning ou de Leto ; ou encore l’édition de 2012 où le palmarès semblait avoir été conçu de concert avec des intérêts financiers.
D’un jury, on attend qu’il ose, décompose et recompose les normes hiérarchiques du cinéma mondial. L’audace a un coût, celui des sifflets qui recouvrent de trop rares applaudissements pour des films qu’on jugera plus tard comme essentiels. Pensons par exemple à la Palme d’Or attribuée à l’unanimité à Maurice Pialat pour Sous le soleil de Satan en 1987 qui avait des allures de bataille d’Hernani ou encore à la surprise Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures de 2011 qui avait permis de révéler au public le cinéma novateur d’Apichatpong Weerasethakul.
Depuis plusieurs années, le festival de Cannes a pris un tournant politique majeur avec la nécessité de récompenser des films aux causes louables et indispensables. Le jury de cette année semble confirmer la règle car cette troupe composée notamment du très engagé Ladj Ly et de l’exigeant Asghar Farhadi sera dirigée par le plus engagé des acteurs français, Vincent Lindon. Il avait emporté la Croisette en 2016 pour son rôle de vigile épuisé dans La Loi du marché de Stéphane Brizé qui lui avait valu le prix d’interprétation masculine. Lindon, le plus timide des extravertis, le plus nerveux des taiseux sait qu’on ne fait pas de cinéma qu’avec des bonnes intentions. A lui maintenant de nous en dire plus sur ce qu’il cherche vraiment dans un film. Réponse le 29 mai.
Pendant ces 4 jours de folies, l’ACD s’écharpera, les fesses dans le sable et les doigts de pieds en éventails sur cette question que posait déjà André Bazin en 1958 : « Qu’est-ce que le cinéma ? ». Cela se résume-t-il à de la crème solaire mal étalée et un panini fromage à 8 euros ou alors est-ce autre chose ?
Ce petit plus, ce grain de folie qui commence quand la salle se tait et que l’écran se noircit dans l’enceinte du Palais des Festivals, nous le vivrons à fond à 900 km de Paris. Nos matamores sont sur la piste, prêts à grimper le Galibier à la vitesse d’un marathon. Que le meilleur cinéphile gagne.
Le mot de la fin revient à Jean-Luc Godard :
Silenzio, si gira !
Omer Gourry