Bâtiment 5 : c’est l’immeuble vétuste de Montvilliers dans lequel vivent de nombreuses familles, et dont le projet de démolition est accéléré par le changement abrupt et imprévu de maire. Pierre Forges, pédiatre profane de la politique, accepte ce rôle de maire qu’on lui tend, et finit par l’adopter d’une manière si sévère qu’il s’expose aux oppositions des jeunes de la commune dont Haby, jeune femme particulièrement impliquée dans la vie citoyenne de Montvilliers. 

Ladj Ly nous propose, pour la deuxième fois après les Misérables (César du meilleur film en 2019), un portrait de territoire : la ville fictive de Montvilliers est décrite à l’écran par ses routes, ses immeubles, ses places publiques et sa mairie, mais aussi par ses habitants, ses commerçants, ses élus… Les Misérables racontait lui aussi l’histoire non pas d’une personne mais de Montfermeil, de sa colère qui bout.  

C’est donc la deuxième fois que le jeune réalisateur fait montre de son talent pour filmer les espaces. L’affiche de Bâtiment 5 rappelle la magnifique affiche du film précédent, et la saisissante scène d’ouverture de liesse populaire à la suite de la victoire de l’équipe de France de football en 2018. Le bâtiment 5, ce mastodonte grouillant de vie et de drames, est filmé admirablement : la scène inaugurale de la descente d’un cercueil dans ses escaliers étroits et dangereux donne tout de suite le ton.

On aurait même aimé qu’il occupe toute la scène. Son traitement singulier des problèmes sociaux des quartiers dits « sensibles » rendait Les Misérables à la fois atypique et puissant : plus qu’un personnage en particulier, c’était les relations entre les membres de cet écosystème complexe, et les phénomènes auxquels conduisait leur interdépendance qui constituaient le sujet du film et y conféraient une grande force de persuasion. Bâtiment 5 renonce à cette constellation d’acteurs pour se recentrer sur une figure, Haby :  certes, on ne peut être qu’admiratif.ve devant sa combativité, son sens aigu de l’équité et sa foi inébranlable en la capacité des institutions démocratiques à améliorer les conditions des habitant.e.s. Pour autant, pour qu’elle soit un personnage vraisemblable et non une allégorie des attentes en justice des habitant.e.s de ces quartiers, on aurait aimé la voir vivre, douter, échouer parfois ; en d’autres termes, incarner ce que la lutte pour les droits sociaux signifie concrètement. 

La scène finale contribue largement à cette impression d’invraisemblance : il manque indubitablement des étapes, des scènes, des développements sur certains personnages, pour nous convaincre de cette conclusion. L’intensification de la colère à l’origine de cette scène est montrée, certes, mais pas suffisamment expliquée : en laissant le spectateur.rice dans l’incompréhension des phénomènes qu’il observe, Ladj Ly offre trop peu de prises à l’empathie. Dommage, pour une scène qui joue la carte du mélodramatique…  

Le principal défaut de Bâtiment 5 est donc de faire suite à un excellent film, et de se positionner sur le même terrain : la comparaison est cruelle, tant la finesse d’analyse et les redoutables qualités démonstratives des Misérables manquent à l’appel. 

Aude Laupie

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