Le 17 décembre, l’ACD proposait un ciné-débat en visioconférence sur le thème des violences sexuelles au cinéma, ce qui a permis à une trentaine de participants de se lancer dans une éclairante discussion autour de la question de la dénonciation du viol ou du risque de l’érotisation.  

Afin de nourrir la réflexion, trois films ont été présentés : Irréversible de Gaspard Noé (2002), 365 dni de Barbara Bialowas et Tomasz Mandes (2020) et Baise-moi de Virginie Despentes (2000). 

Quand on confronte le cinéma aux problématiques sociales, on ne peut faire l’économie d’un petit détour définitionnel. Ainsi, nous nous sommes accordés pour comprendre une agression sexuelle comme « tout atteinte sexuelle [ou, quand il s’agit d’un viol, tout acte de pénétration sexuelle de quelque nature qu’il soit] commis sur la personne d’autrui, par violence, contrainte, menace ou surprise ».  Nous avons également défini la « culture du viol » comme un ensemble de manière de penser, de sentir et d’agir qui tendent à normaliser, banaliser, voir invisibiliser les violences sexuelles. La « culture du viol » est fondée sur des croyances et renvoi à la façon dont le viol est représenté dans l’imaginaire collectif. 

Dans un premier temps, nous nous sommes questionnés sur la légitimité des images de violence sexuelle au cinéma. Le premier argument pose d’emblée le lien entre cinéma et politique : ces images ont une nécessité dès lors que le viol est une réalité sociale qu’on ne peut ignorer, d’autant plus dans un contexte post-metoo. Implicitement, le cinéma doit dénoncer. Mais un film comme 365 dni, qui montre le viol dans un mélange de spectaculaire et d’érotique, invite à affiner la réflexion. En effet, montrer les violences sexuelles au cinéma peut également constituer en une banalisation de ces pratiques, et en ce sens participer à la culture du viol. La légitimité des images de violence sexuelle serait alors dépendante de leur visée politique. Nous nous questionnons donc sur la « volonté » du réalisateur, pour en conclure sur la légitimité du viol dans Baise moi (un film qui dénonce), et sur l’illégitimité du viol dans 365 dni (un film qui banalise). Mais le dualisme ne satisfait pas totalement. La discussion tend alors à souligner la limite étroite et fébrile entre dénonciation d’une part, et érotisation et banalisation d’autre part : « on peut avoir une volonté et ne pas bien l’exprimer », souligne un intervenant. Dès lors, la banalisation menace-t-elle tous les films qui s’essayent à montrer le viol ?  

Se pose ensuite la question de l’esthétique. Il faut comprendre ici que la légitimité des images de violence sexuelle au cinéma repose largement sur les choix artistiques. Deux arguments s’affrontent ici. D’un côté, il est soutenu que traiter du viol dans des films plaisants à l’esthétique raffinée participe de la « culture du viol ». De l’autre, montrer le viol de manière trop « trache » dans des films qui ne se soucient jamais du confort du spectateur, serait au contraire nier toute capacité de dénonciation. En effet, des films comme Baise-moi, qui imposent pendant plus d’une heure des plans saccadés, des caméras (bancales) à l’épaule et d’extrêmes violences, sont des films formellement hermétiques et qui touchent donc peu de spectateurs. Nous envisageons alors l’idée selon laquelle la justesse d’un film sur le viol reposerait sur l’usage du temps long et de la mesure. Autrement dit, un film réussirait le pari de la dénonciation s’il ne se contente pas de montrer le moment du viol, mais s’il rend compte de ses répercussions durables pour les victimes et les violeurs. À ce titre, le film Les Accusés de Jonathan Kaplan nous convainc dans la mesure où il met en lumière les enjeux judiciaires du viol, sans spectaculaire ni esthétisation abusive. Ce que suggère également ce film, c’est que le cinéma réussi à parler du viol sans même le montrer. Ainsi, une seule scène de violence sexuelle suffit au film Incendies de Denis Villeneuve – adaptation de la pièce de Wajdi Mouawad – pour donner à voir toute la puissance d’une tragédie, ficelée par le viol incestueux. 

Enfin, vient la question du point de vue. Faut-il avoir été victime de viol pour réussir à le filmer ? Cette question divise, mais finalement les arguments convergent : s’il n’est pas nécessaire d’avoir été violé pour montrer le viol d’une façon qui soit juste, il faut néanmoins en faire un sujet très subjectif, et parvenir à comprendre pleinement le point de vue de la victime. Car pour dénoncer le viol il faut fuir l’érotisation, et donc refuser de traiter la victime comme une simple chose et objet de désir, pour plutôt montrer son pouvoir d’action. Dès lors, selon une intervenante, réussir un film sur le viol supposerait de s’affranchir des normes sur lesquelles se fonde la « culture du viol », et en particulier des normes de domination masculine. Dès lors, la justesse du film Mysterious Skin de Gregg Araki est-elle fondée sur la posture et le regard critique du réalisateur queer par rapport aux normes de genre et de sexualité ? 

Lucie Kasperski

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