The Fall, Tarsem SINGH (2006)

Inventer un conte pour manipuler une jeune fille et se suicider ? Il FALLait y penser ! 

The Fall, réalisé par Tarsem Singh en 2006 est l’une de ces pépites méconnues du grand public. Il s’agit en fait d’une adaptation du film bulgare Yo Ho Ho datant de 1981. Dans le Los Angeles des années 20, Roy, un cascadeur suicidaire au coeur brisé et Alexandra, une petite fille de cinq ans avec un penchant pour les bêtises sont hospitalisés à la suite d’une chute. 

Ils se rencontrent lorsque Alexandra fait tomber par mégarde une note dans la chambre de Roy qui ne lui était pas destinée. Quand elle tente de la récupérer, la petite fille se trouve intriguée par l’histoire que Roy lui raconte sur Alexandre le Grand. Le cascadeur lui promet que si elle revient le voir le lendemain, il lui racontera une autre histoire, une épopée. 

Ainsi, cette amitié singulière se transforme en création d’un univers fantastique, dans lequel Roy fournit l’histoire et Alexandra, l’imagination nécessaire.

Le personnage principal, joué par Roy lui même, est un bandit masqué qui a juré de venger la mort de son frère, exécuté par le Gouverneur Odieux.

On comprend vite que toute cette histoire n’est qu’une tentative de Roy de manipuler Alexandra, afin que cette dernière lui apporte de la morphine, en échange de quoi le jeune homme promet de lui raconter la fin de l’histoire.

L’épopée en question nous est présentée à travers les yeux de la petite fille. Ainsi, les paysages et les personnages sont dépeints à travers un arc-en-ciel de couleurs qui accentuent et subliment le contraste entre leur monde fabuleux et la réalité morne. Les couleurs dans ce film jouent un rôle primordial.

Une intro en noir et blanc, un ralenti, une chute et la septième symphonie de Beethoven …. Attendez est-ce vraiment un film qui met à l’honneur les couleurs ? Et oui, bien que le début soit trompeur c’est parfois dans l’absence de couleurs qu’une scène trouve tout son sens. Roy est tombé. Il a frôlé la mort… et si il ne l’avait pas que frôlée ? Les couleurs de la scène se sont évaporées, comme la volonté de vivre de notre héros. Un contraste d’autant plus saisissant lorsque l’on compare le monde imaginaire et chatoyant qu’il crée au fur et à mesure de l’histoire… 

Mais, ne nous égarons pas. Avant le rêve et les couleurs, il y a la réalité. Le triste et morne quotidien d’un homme qui a tout perdu. D’un homme qui veut abandonner la vie par tous les moyens. Outre le jeu d’acteur, aussi bon soit il, de Lee Pace, ce sont les couleurs qui créent cette atmosphère de mal-être, de réalité à laquelle nous aimerions échapper. Ou plutôt Une couleur, omniprésente,  quitte à nous rendre malade (plutôt d’actualité quand on parle d’hôpital) : Le vert. Le vert terne des murs de l’hôpital, le vert bouteille des médicaments. Ce vert désagréable qui revient sans cesse pour nous rappeler la réalité. On ne peut l’éviter : il est partout, sur tous les murs. Il oppresse Roy, comme la réalité l’oppresse et le confine dans son lit d’hôpital – un sentiment qui nous est plutôt familier au regard des récents événements. 

La réalité semble bien morose entre ces quatre murs exigus… Le rêve peut-il alors apparaître comme un échappatoire à ce quotidien ? Tout semble à croire que non. Malgré des débuts magiques et chatoyants, le réel prend le pas sur l’imaginaire … Transparaît alors une douleur plus profonde qu’une simple blessure physique et, ce que l’on pensait être de simple fleurs, capes ou masques rouges révèlent leur côté sombre. Plus le récit fantastique avance, et plus le rouge se pare d’un manteau de haine. La haine de vivre alors qu’on est mort au fond de soi, la haine de ne pas réussir à «finir» de mourir, la haine de soi.  En témoigne le bandeau rouge du héros. Ne dit on pas que les yeux sont le miroir de l’âme ? Et comment sont les yeux de notre héros si ce n’est entouré par un ruban de haine. Un ruban que le spectateur perçoit malgré les centaines d’artifices oniriques déployés par Roy pour endormir et manipuler la jeune Alexandra. 

Alexandra parlons en d’ailleurs. La jeune demoiselle pleine d’espoir et de rêves… celle qui ne comprend pas le monde des adultes et qui peine à maîtriser la langue des adultes … et ses codes. Ce qu’Alexandra ne perçoit pas, aveuglée par son innocence, le spectateur le voit. Et c’est avec un cruel délice que il assiste aux manipulations de Roy, à ses modifications d’histoire afin de satisfaire Alexandra… mais surtout afin de parvenir à son but ultime : se donner la mort. Ultime me diriez vous ? Vraiment ? Rien n’est moins sûr. Car plus qu’une histoire de manipulation, c’est avant tout une tentatives de communication mais surtout un hymne à l’amour. Un amour capable de changer un homme. Un amour capable de lui apprendre à se relever malgré les obstacles de la vie. 

Très vite, Alexandra apparaît elle même en tant que personnage dans l’épopée. A son arrivée, les couleurs prennent un autre sens. Affublée du même masque de bandit que le personnage de Roy, ses yeux bordés de rouge ne sont pas ceux de la haine, mais ceux de la passion. Une passion pour une histoire qui la sort complètement de son ennui profond à l’hôpital et de son quotidien de labeur dans les champs. Le rouge devient ainsi la couleur d’un amour imaginaire entre l’infirmière Evelyn et Roy quand ce dernier fait entrer en scène une jeune femme dont le bandit masqué tombe éperdument amoureux. Ses yeux d’enfant teintent l’histoire de Roy de couleurs qui n’ont de sens que pour elle. 

Au moment où Alexandra se rend compte que Roy tente depuis le début de se donner la mort par son biais, elle essaie par tous les moyens de changer la fin de l’histoire. Afin de détruire les illusions que la petite fille s’est faite sur lui, Roy décide de tuer un à un les personnages du conte, réservant le sort de son propre personnage pour la fin. Alexandra tente alors de faire comprendre a Roy l’ampleur de l’égoïsme de ses actes dans la scène la plus déchirante du film. On comprend vite que Roy a pris une place énorme dans le coeur de la jeune fille, qui le voit comme un deuxième père après la mort de sien. Ne pouvant se résoudre à mettre sur les épaules d’une enfant de cinq le poids de son suicide et pressentant la culpabilité qui rongerait l’enfant, Roy essaye de changer sa propre perception de la vie. Avec cet effort final, la couleur verte change de symbolique et prend tout son sens. 

Le vert du dégoût devient le vert de l’espoir, la couleur de la vie. L’hôpital n’est plus une prison mais un chemin vers la guérison. Pendant tout le film le vert présente une certaine dualité. Cette ambiguïté se traduit par sa présence à la fois dans la réalité, où il incarne l’angoisse, et dans l’épopée. On peut notamment penser au moment où, après s’être perdus dans le désert, nos protagonistes arrivent finalement dans une immense oasis baignant dans le vert luxuriant des arbres. Avec la renaissance du vert en couleur d’espoir, l’image du papillon, présente tout au long du film, prend, elle aussi, tout son sens. Dans beaucoup de cultures le papillon symbolise la vie et l’espoir. Ces mots prennent alors une nouvelle signification pour Roy, et ce qui était dans l’histoire une quête pour trouver un papillon rare, l’Americana Exotica, est en fait la quête de Roy pour retrouver goût à la vie.

Salomé Ferraris et Angela Moschetto

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