Le scénario de Jeune Juliette, film québécois réalisé par Anne Emond et sorti le 11 décembre 2019, pourrait sembler assez simple, voire simpliste : une adolescente de quatorze ans, Juliette, ronde et pas très bien dans sa peau, mène une vie banale dans la campagne québécoise aux côtés de son père et de son grand frère. Elle se rend tous les jours au lycée où elle a pour seule amie Léanne avec laquelle elle forme un duo de weirdos, animant la radio du lycée – leur programmation n’est pas au goût de tout le monde -, séchant les cours pour aller bronzer au bord de l’eau ou dissertant sur les autres lycéens, l’amour, la vie. Car pour Léanne comme pour Juliette, leurs camarades de classe sont peu dignes d’intérêt et n’ont pour seul talent que de leur lancer quelques piques moqueuses au détour d’un couloir. Juliette est la première à en faire les frais : ronde, tête de classe encensée par son professeur de français, elle est la cible parfaite de ces adolescents goguenards et pas vraiment futés.

Cependant, au milieu de sa fade existence, deux objectifs animent Juliette : séduire Liam, le meilleur ami de son grand frère, un ersatz de Kurt Cobain, et s’enfuir de son village pour aller vivre la grande vie avec sa mère à New York. L’été arrive et avec lui les plus grands espoirs comme les plus cruelles désillusions : Liam traîne souvent à la maison pour voir Pierre-Luc, le grand frère de Juliette, mais celui-ci va bientôt quitter la maison familiale pour emménager avec sa « blonde » ; le père de Juliette retrouve l’amour auprès d’une professeure de yoga quand Juliette ne supporte plus que le bonheur dégouline autour d’elle. Pour couronner le tout, Léanne révèle son amour à sa meilleure amie, auquel celle-ci est loin d’être réceptive.

En reprenant les codes du teen movie américain que l’on connaît tous, Jeune Juliette les tord, s’en joue, sans jamais les ridiculiser, pour nous proposer sa vision et sa réflexion sur ce que peut être l’adolescence d’une jeune fille en crise existentielle qui se pense en décalage avec son environnement. L’incursion dans ce lycée et cette ville québécois est tout à fait plaisante : les couleurs chaudes et édulcorées sont agréables à regarder et bien travaillées, dans chaque dialogue fusent des répliques bien senties, on se prend souvent à rire des situations sans jamais se moquer des personnages et l’aspect clipesque du film – les split screens, la bande-son pop et impeccable – lui donne un dynamisme et un charme certains. Au-delà de l’aspect formel, chaque sujet est abordé avec une légèreté et une intelligence qui rendent compte de son importance sans toutefois aggraver le propos. D’abord, le rapport au corps de Juliette, que l’on voit parfois se toucher le ventre après avoir reçu des moqueries, alerte sur la gravité des mots que peuvent employer certains adolescents envers leurs camarades. L’homosexualité – féminine, pour une fois – d’un des personnages principaux est abordé de façon pudique, sans dramatiser ou juger : certes, Juliette repousse d’abord Léanne, mais c’est plus par crainte d’être aimée par son amie que par hostilité envers son orientation sexuelle, et l’acceptation finale donne lieu à une scène à la fois émouvante et drôle, une revanche des deux filles sur la vie et sur leurs détracteurs. 

Quant aux sentiments de Juliette envers Liam, leur évolution est juste et permet d’interroger les amours adolescentes : si Juliette aime Liam, est-ce pour sa personnalité, sa gentillesse, son attention envers elle ? Ou parce qu’il est beau, plus âgé et assuré, gentiment rebelle et chanteur dans un groupe de rock ? Deux scènes-clefs, qui mettent elles-mêmes en lumière l’importance du consentement et du respect, permettront à Juliette de tirer des conclusions nécessaires. Enfin, moins visiblement, le film aborde la question de l’autisme, de son traitement par la société et, plus subrepticement, du parent surprotecteur voulant à tout prix que son enfant soit spécial – contrairement aux parents de Juliette, dont le père semble dépassé et dont la mère a, selon sa fille, quitté le navire par égoïsme ?

Jeune Juliette n’invente rien mais sublime tout : de par sa photographie, la pertinence avec laquelle il traite son sujet et la fraîcheur de ses personnages, le film offre un retour en adolescence salutaire qui ne manquera pas de nous rappeler les doutes, les interrogations et les émotions qui nous traversaient au même âge. La torpeur estivale est reproduite à l’écran avec fidélité et nous permet d’entrevoir un peu de soleil dans le froid de l’hiver. Juliette et ceux qui l’entourent peuvent être rassurés : ils ne sont ni banals ni flamboyants, ils sont avant tout humains, touchants et justes, et plus aimés que ce qu’ils ne pensent.

Justine Lieuve

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