« J’ai envie de faire un cinéma qui prend en compte les temps a priori plus creux de l’existence, les « embouteillages » comme les appelle Truffaut. J’aime qu’un film ne soit jamais phagocyté par son sujet, que la vie reste toujours le sujet du film, que le film ne soit pas otage de son sujet. »[1]
10 mai 1981. François Mitterrand est élu président de la République et Talulah (Noée Abita), une jeune femme désœuvrée et sans attache, débarque à Paris. Ses doigts parcourent un plan du métro où de petites ampoules s’allument et indiquent les stations ; ces lumières comme autant d’étoiles scintillant dans les douces nuits feutrées dans lesquelles nous embarque Mikhaël Hers.
Ces nuits, ce sont celles d’Elisabeth (Charlotte Gainsbourg) qui, insomniaque et tout juste séparée de son mari, trouve un emploi à la Maison de la Radio pour assurer son quotidien et celui de ses deux adolescents, Judith (Megan Northam) et Matthias (Quito Rayon-Richter). Aux côtés de la mystérieuse Vanda Dorval (Emmanuelle Béart), animatrice d’une émission de nuit diffusée sur France Inter, elle reçoit les appels d’inconnu‧e‧s qui partagent sur les ondes, des souvenirs, des instants de vie, des secrets. Comme le suggère Vanda, « Ici, on parle de soi, de son passé, de son enfance. C’est un peu la règle du jeu ». Et dans cette intime obscurité, le chemin d’Elisabeth croise celui de Talulah qu’elle accueille chez elle et prend sous son aile.
Dans des tons bleutés et orangés et sans jamais tomber dans la mièvrerie, Mikhaël Hers filme avec poésie le temps qui passe, le quotidien et la délicatesse de ces personnages. Elisabeth, merveilleusement interprétée par Charlotte Gainsbourg, émeut à la fois par sa sensibilité à fleur de peau et par sa tendresse. Si la voix de Talulah et l’extrait des Nuits de la pleine lune (Rohmer, 1984) évoqueront l’actrice Pascale Ogier pour les plus cinéphiles d’entre vous, nul besoin de connaître la filmographie d’Éric Rohmer sur le bout des doigts pour être profondément touché‧e par la fragilité de cette jeune femme en quête d’amour et de liberté.
Mais ce que le réalisateur montre surtout, ce sont les années 1980. Filmant tour à tour en 16 ou en 35 mm, confondant images d’archives et de fiction sous la forme d’une ellipse en trois étapes allant de 1981 à 1988, le cinéaste rend hommage à ces années où Joe Dassin était de mise et où la radio n’avait déjà plus « le monopole de la nuit ».
Dans ce film, quoi de mieux que les réconfortantes voix de la nuit pour ces passager‧ère‧s de la vie.
Clara Slimani