Réalisé par Stéphane Demoustier
Paul-André PÉAN, le 08/11/2025
Mon intention est simple, vous donner envie de découvrir cette surprise personnelle. Laissez-moi me confier à vous, en simple amoureux du cinéma. J’ai décidé, à mon habitude, de me rendre en salle obscure pour terminer ma soirée en beauté. Et quelle beauté ! Aucune recommandation ne m’avait été faite, et j’étais bien content de tout découvrir par moi-même. L’ACD aimerait vous faire parvenir son analyse, et cela sans gâcher votre découverte, ainsi il n’y aura pas de spoilers.

Ce qui est frappant avec L’inconnu de la Grande Arche, réalisé par Stéphane Demoustier qui a remporté, pour ce film, le prix Un Certain Regard à Cannes, c’est sa juxtaposition de la simplicité et de la complexité.
L’histoire nous plonge en 1982, à Paris, dans le bureau de François Mitterrand, président de la République à l’époque. Nous nous retrouvons au moment des résultats d’un concours d’architecture qui permettra d’établir le projet pour la réalisation d’un monument sans précédent à La Défense et de trouver son architecte. Ce quartier veut s’imposer comme le cœur névralgique des quartiers d’affaires européens, cedit monument étant la pierre angulaire et l’identité de ce quartier, et, par prolongement, de la ville de Paris et de la France dans le monde des affaires. Les résultats sont pour le moins étonnants : l’identité de l’architecte nommé vainqueur est inconnue de tous. Il sera retrouvé peu de temps après, cueilli dans la simplicité de sa vie, pêchant aux côtés de sa femme. Lui sera ainsi délivré la tâche, avec le grand optimisme de Mitterrand, de concevoir ce qui s’annonce être l’œuvre de sa vie : The Cube. Un projet audacieux, un cube immense, aussi grand que la pyramide de Gizeh, révolutionnaire dans le milieu de l’architecture, et accompagné de beaucoup de symbolique, car destiné à constituer le terminus de l’axe royal, reliant le Louvre à La Défense, en passant par le jardin des Tuileries, la place de la Concorde, l’avenue des Champs-Elysées et l’Arc de Triomphe. Ainsi, pour clôturer cette avenue dorée, il faut que tout soit parfait. Et Otto Von Spreckelsen, le nouvel architecte incarné par Claes Bang, l’a bien compris et compte bien être aux commandes afin de mener à bien ce projet colossal de l’exacte manière dont il l’a longtemps imaginé.

En atteste sa personnalité, puisqu’il est doté d’une grande rigueur et sagesse. Néanmoins, ne disposant pas d’un grand bagage, il n’apparaît pas comme l’un de ces architectes avertis de leur talent et s’en vantant sans scrupule, mais plutôt comme un homme simple, arrivant en France avec son idée, son style, sa psyché. Il est toujours accompagné de près par sa femme dans l’accomplissement de ses travaux, présence qu’il ne réalisera comme essentielle à son propre équilibre que plus tard. Il est charismatique, gentil, minutieux, et saura progressivement s’affirmer comme une figure d’autorité, avant sa déchéance.
Techniquement, L’inconnu de la Grande Arche est très intéressant. Il peut être l’objet de rapprochements, parfois assez explicites, avec plusieurs œuvres, notamment The Brutalist de Brady Corbet. Premièrement, la construction de son scénario est assez similaire, avec un récit en deux parties (une montée, une descente), suivies d’un épilogue, pour le coup très réussi et marquant. Comme dans The Brutalist, on suit l’histoire d’un homme arrivant dans un pays étranger (évidemment dans un contexte historique et géopolitique bien différent), architecte inconnu avec un style nouveau, qui va progressivement réaliser l’importance de sa famille qui l’entoure dans sa vie professionnelle, dans la réalisation d’un projet ambitieux. Visuellement, dans une logique similaire, Stéphane Demoustier nous délivre des plans impressionnants et grandioses d’œuvres architecturales, de buildings, et de larges plans du chantier de l’arche en construction. Cette colorimétrie froide et claire, retrouvée dans les moments les plus éprouvants pour Otto, fait contraste avec les couleurs plus chaudes et sombres des moments d’introspection et de reconnexion avec la réalité.

Nous parlions d’opposition entre simplicité et complexité plus tôt. Ce film délivre avec beaucoup de justesse un sentiment de submersion face à un projet si faramineux, contrasté avec des plans d’une simplicité pure sur des éléments pourtant insignifiants dans la scène, comme un plan sur un chien dormant lors d’un entretien avec le Président. Ces plans ont la même saveur que ceux de Wim Wenders dans Paris, Texas, d’une pureté et pourtant d’une singularité qui raconte tant de choses sans rien en dire.
Il peut être intéressant de relier ce concept de simplicité/complexité avec l’esprit des personnages du récit. Par exemple, il y a une opposition flagrante entre la simplicité de Liv, l’épouse de l’architecte, et la complexité d’Otto, désormais obstiné et son esprit embrumé par le projet de sa vie, mis en évidence par un plan intelligent sur les époux séparés par un mur lors de l’arrivée d’Otto dans leur appartement après sa journée de travail. D’un côté, on y voit l’homme stressé, focalisé sur son projet et affecté par les tournures non anticipées, et de l’autre sa femme, également affectée, mais par la négligeance de son mari qui semble transformé.
Finalement, les conseils de l’ACD sont les suivants : allez découvrir ce film qui vous en apprendra tant sur ce projet faramineux. Tout le monde connaît la Grande Arche de La Défense, vous êtes probablement passé à côté, mais sans en connaître la véritable histoire ni celle de son créateur. Après ce film, vous ne la verrez définitivement plus de la même manière. Entre coupes budgétaires, subterfuges, cohabitation et obsession, ce monument a connu bien des bouleversements.
Paul-André PÉAN
