Rien de plus mensonger que le titre ; comme vous le savez sûrement, deux droites parallèles ne se croisent jamais. Pourtant, les deux mères madrilènes en question, Janis (photographe trentenaire) et Ana (encore adolescente) se croisent une première fois à l’hôpital où elles sont toutes deux sur le point d’accoucher. La première se réjouit de devenir mère, la seconde est terrorisée. Et par la suite, leurs vies ne cesseront de s’entrecroiser. 

Le parallélisme se situe davantage entre les deux trames de l’intrigue ; outre l’évolution des deux actrices dans leur rôle de mère, nous suivons l’avancement du projet de Janis d’ouvrir une fosse commune de son village natal, dans laquelle serait enterré son arrière-grand-père. Déterrer ces cadavres entassés sans aucune considération, c’est aussi pour elle et pour son allié porter à la lumière du jour une des horreurs méconnues du franquisme.

Et là encore, en réalité, pas de parallélisme ; c’est lorsqu’on comprend en quoi ces deux lignes scénaristiques sont sécantes que le film prend toute son ampleur. En associant un sujet aussi intimiste et personnel que l’attachement d’une mère à son enfant, à un sujet aussi politique que celui des victimes de la dictature franquiste. Association ambitieuse, tant les deux sujets semblent éloignés ; mais qui fonctionne. L’ADN du film est justement de jouer sur cette ambiguïté de l’ADN ; la génétique est décrite autant comme superflue lorsqu’il s’agit de construire un lien affectif, qu’essentielle dans le rétablissement d’une dignité aux défunts.  

A ce croisement des thèmes s’ajoute un mélange détonnant de genres, auquel Almodovar nous avait habitué ; la puissance du thriller et des personnages hauts en couleurs agencée à la subtilité et à la précision des émotions qu’il dépeint. La seconde grande réussite du long-métrage est ainsi de nous faire adopter le point de vue de Janis, et donc de partager ses interrogations. Interrogations qui deviennent des craintes, puis qui se transforment en un dilemme insoluble. 

Or, c’est justement la résolution de ce dilemme qui laisse un goût amer. Tout était parfait jusque-là : des interprétations sublimes, un scénario ciselé et une montée progressive de la tension. Et soudain, survient une aberration scénaristique. Lorsque Janis prend sa décision, elle qui a pourtant fait preuve jusqu’ici d’une détermination sans faille, elle choisit d’assumer les conséquences de son acte avec une passivité affligeante et incohérente. On aurait aimé explorer la souffrance ainsi provoquée par son choix, mais non ; le spectateur est simplement projeté dans un avenir proche, quand Janis a retrouvé une forme de sérénité. L’intrigue est considérée comme close, la tension est finalement retombée comme un soufflé. 

Ce point de faiblesse de l’intrigue peut s’expliquer par un découragement devant tous les fils scénaristiques tendus. Empêtré, Almodóvar propose un dénouement qui ne dénoue finalement aucun nœud. L’intrigue aurait par exemple pu être plus épurée sans la tournure que le réalisateur a voulu donner à la relation entre les deux protagonistes ; outre le fait qu’elle soit très peu convaincante, elle n’apporte rien à la trame générale. A vouloir tout relier, tout faire dialoguer, Madres Paralelas se perd un peu. Pour autant, cela ne retire rien à sa délicatesse, et plus précisément à la manière particulièrement juste dont il traite ses sujets – en manipulant douceur et douleur avec une extrême précaution.  

Aude Laupie

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