Julija (Gracija Filipovic) vit avec ses parents sur une île croate pratiquement déserte, à quatre heures en bateau des côtes italiennes. Une mer bleue et transparente, un soleil ardent, une nature sèche à perte de vue ; ce décor radieux contraste tout de suite avec le regard fermé, presque méfiant, de Julija. Par petites touches, le.la spectateur.rice comprend l’emprise que le père de l’héroïne, Ante (Leon Lucev) exerce sur elle. L’intrigue débute avec l’arrivée de Javier (Cliff Curtis), ami d’enfance d’Ante, et se termine sur son départ. Tout en subtilités et suggestions, le film décrit comment cet élément exogène va catalyser le rejet de son environnement familial qui se dessine progressivement chez Julija ; Murina est le récit méticuleux et précis d’une émancipation.
Les démonstrations de la brutalité paternelle se sédimentent, laissent progressivement deviner comment la situation est perçue par l’héroïne : de moins en moins supportable. Les murs de sa prison se resserrent. Si le scénario prend son temps, il n’en demeure pas moins solide : toutes les scènes prennent place dans une cohérence interne.
Une telle impression de maîtrise tient pour beaucoup au travail sur les personnages de Julija et de sa mère Nela (Danica Curcic). Bien que déterminée, forte et autonome, Julija manifeste une certaine vulnérabilité émotionnelle ; en contraste, Nela apparaît comme en proie au doute, plus tempérante mais aussi plus calculatrice. Plus la situation s’aggrave, plus les deux femmes radicalisent les lectures qu’elles font de leur situation commune et s’opposent sur leur manière de la surmonter : rester et attendre, ou partir ?
Précisons que pour autant, un tel travail ne se retrouve malheureusement pas chez les personnages masculins, tellement leur opposition est grossière ; l’idéalisation de Javier est aussi appuyée que la diabolisation d’Ante. Ces esquisses au crayon gras les rendent tous deux trop énigmatiques, pour ne pas dire creux.
Mais passons à ce qui fait la force de Murina : sa mise en scène, et plus précisément son utilisation de la mer comme espace scénique. Sous l’eau, aucune parole, aucune vitesse. Le temps comme les gestes sont suspendus ; Antoneta Alamat Kusijanovic a bien compris que les profondeurs constituaient un cadre spatio-temporel idéal pour les scènes les plus déterminantes, les plus significatives. Ce sont alors des coulisses, dans lesquelles la vraie nature des relations se révèle ; les tensions explosent une fois à la surface. Cette exploitation cinématographique de l’espace marin se manifeste enfin dans le jeu avec les métaphores : une des scènes les plus prodigieuses du film, celle de la plongée, figure en réalité l’envol de Julija. La mer est un décor, mais aussi un élément central dans la trame : pour l’héroïne, il s’agit autant d’un réservoir de ressources que d’un labyrinthe, de son quotidien que d’une curiosité esthétique. Le film prend alors, finalement, la forme de ces étendues sous-marines longuement filmées : inquiétantes, profondes, lumineuses.
Aude Laupie