Avant-propos : Cette critique, qui fait davantage office d’avis personnel que de compte-rendu objectif, s’adresse aux personnes ayant déjà visionné le film et comportera par conséquent quelques spoilers. Pour celles et ceux n’ayant pas encore pu prendre ce temps, je ne peux donc que vous inviter à y jeter un coup d’œil avant de revenir plus tard à la lecture !
Un conte déconcertant
Après 2h40 de film plutôt fluide où les longueurs se sont faites peu ressentir, un premier sentiment m’a rongé à la sortie de la salle : la frustration. En effet, même en ayant pris le soin d’éviter la lecture de toutes critiques ou interviews avant de prendre mon ticket en salle, mes attentes étaient minimales. La crainte d’être déçu d’un film que d’aucuns qualifiaient de chef d’œuvre et d’autres de film esthétique sans saveur, était de fait important. Malgré ces précautions, j’avais toutefois une certaine appréhension concernant l’intrigue du fait du choix des personnages au sein de ce décor hollywoodien des années 1960. Aux côtés de Rick Dalton (Léonardo DiCaprio) et Cliff Smooth (Brad Pitt), personnages fictifs qui forment un super tandem tout au long du film, figurent notamment deux individus au cœur d’une horreur qui aura marquée et bouleversée les esprits de la fin des sixties : Sharon Tate (Margot Robbie) et Charles Manson (Damon Herriman). Pour rappel, le 9 août 1969, Sharon Tate, actrice étasunienne des années 1960 et épouse du prometteur Roman Polanski, est sauvagement assassinée par la dénommée Manson Family alors qu’elle est enceinte de huit mois. Trois des membres de cette confrérie la poignardent ainsi que trois de ses amis et un voisin (Jay Sebring, Wojciech Frykowski, Abigail Folker et Steven Parent). La défunte Sharon Tate ayant même reçu jusqu’à 16 coups de couteau.
Dès lors, avec une telle toile de fond, je m’attendais à ce que le meurtre de Sharon Tate soit, si ce n’est abordé à l’écran, au moins mentionné ou explicité. Cette attente était d’autant plus renforcée au cours du visionnage, que j’ignorais au moment de celui-ci que Rick Dalton et Cliff Smooth n’étaient pas réels ; ignorance imputable non seulement à mon absence de recherches antérieures mais aussi à mes connaissances trop légères sur cette période passionnante de l’émergence du Nouvel Hollywood. Cependant, cette frustration fut surtout spontanée car elle a laissé place à la réalisation d’un constat implacable : Tarantino a réussi son pari, à savoir celui de délivrer un conte, une fable fantasmagorique d’une période qu’il chérit et non une reconstitution d’évènements historiques (à aucun moment il n’est par exemple mentionné le trop souvent utilisé « inspiré de faits réels »). Ce conte déroutant était promis dès le titre de son supposé avant-dernier long-métrage et cette promesse nous est rappelée cyniquement par le dernier plan du film, celui d’une Happy End qui n’aura jamais eu lieu.
C’est précisément ce jeu avec le réel et l’entretien de la mystique autour de la Manson Family et du meurtre de Sharon Tate qui parviennent à entretenir une tension malaisante tout au long du récit, en particulier lors d’une deuxième partie qui fait suite à une excellente construction des personnages et une installation du décor à l’occasion du premier grand acte. L’arrivée des hippies meurtriers, dont Tarantino nous dresse un portrait acerbe loin de l’idéal-type du Peace and Love et réduits à une image de squatteurs toxicos, à la maison du 10050 Cielo Drive, parachève ainsi les faux-semblants d’oppression que le réalisateur a entretenu tout au long de son film. L’arrivée de Cliff au sein du ranch pouvait par exemple laisser présager une issue beaucoup moins heureuse pour la doublure de Rick Dalton. Cette issue funeste pouvait également être envisagée au moment du mouvement de caméra qui s’en va rejoindre le toit de la maison du couple Tate-Polanski après le nettoyage assuré par Cliff et conclu en fumée par Rick. Ce mouvement de caméra avait en effet déjà été effectué au début du film pour souligner la proximité de voisinage entre la star ascendante et l’icône déchue. Pour l’épilogue, on pouvait s’attendre à voir apparaître Charles Manson tapis dans l’ombre, lui qui se sera finalement contenté d’une seule scène d’apparition sur plus de deux heures et demie de film. Ce resurgissement éventuel du meurtrier pouvait paraître plausible si l’on n’attendait de la fin du long-métrage aucun twist particulier, twist beaucoup trop sous-entendu par l’équipe du film ou les critiques[1]. L’attente du twist conduit alors à un autre type de frustration différent de celle que fut la mienne. Le caractère subversif de cette fin est donc largement discutable, et ce de manière analogue à la fin, presque convenue pour certains, d’Inglorious Basterds (je vous invite pour cela à lire le très intéressant point 3 constitutif des 6 preuves que Tarantino est le plus grand des faquins).
« Les vrais paradis sont les paradis qu’on a perdus »[2]
Si cette deuxième partie de film n’est rien d’autre qu’un compte-à-rebours de l’apothéose de violence prévue par Tarantino, la première se définirait davantage comme l’hommage que le virtuose réalisateur a voulu rendre à une époque qui l’aura définitivement marqué. C’est réellement au cours du premier acte du film que l’on constate l’amour que Tarantino porte au nouvel Hollywood, amour qu’il cherche à rendre au mieux par un important recours aux décors réels, une BO une fois de plus parfaitement maîtrisée, et quelques dialogues croustillants. Parmi les plus notables de ces éléments, outre la superbe reconstitution de « l’atmosphère radio » prégnante à cette époque, on peut citer toutes les scènes focalisées sur le tournage en studio du Western Spaghetti où Rick Dalton est à l’affiche en tant qu’antagoniste. Son pétage de plomb en loge est digne de la superbe performance de DiCaprio en tant que Jordan Belfort 6 ans plus tôt, tandis que la jeune comédienne Julia Butters nous offre les dialogues les plus incisifs et percutants du long-métrage en la compagnie de la star de Série B sur le déclin.
En revanche, on peut toutefois faire quelques reproches à cette mosaïque dressée par Tarantino sur son paradis perdu. Etait-il nécessaire de faire apparaître des légendes du grand écran du standard de Steve McQueen pour les réduire à une simple image de Don Juan reconnaissant sa défaite quant à la conquête de Sharon Tate ? Si l’interprétation de Damian Lewis participe ici très certainement aux entreprises, parfois nécessaires, de démythification, on peut regretter que son apparition se réduise presque à un simple cameo alors même que La Grande Evasion (1963) fait partie des références totems du réalisateur de Once Upon Time in Hollywood.
Une réappropriation de l’histoire au goût amer
Si le procédé narratif du conte entrepris par Tarantino et son entreprise d’hommage au cinéma et la période des années 1960 peuvent être considérées comme réussis (bien que certains plans, parfois répétitifs, laissent supposer que ce diable de Quentin aime trop insister sur son talent au point de s’auto-congratuler), la fable de Once Upon Time in Hollywood a toutefois suscité chez moi un certain nombre de réserves. Les choix du dénouement du récit soulèvent par exemple un certain nombre de questionnements éthiques.
Si pour certains cette fin n’est qu’un rappel de l’éphémère magie du cinéma qui s’opérerait ici, dans un monde où Sharon Tate a survécu et où, le temps d’un film, celle-ci et le Hollywood de 1969 continuent de vivre, tel choix artistique m’aurait pleinement satisfait dans l’hypothèse où la performance de Margot Robbie aurait réellement rendu hommage à la regrettée Sharon Tate. De fait, bien que la bonne foi bienveillante du réalisateur se soit manifestée à de nombreuses reprises au cours de la promotion du film (telle cette déclaration : « en faisant mes recherches, je suis un peu tombé amoureux de Sharon. Je voulais éviter de l’idéaliser, donc j’ai cherché tout ce qui pourrait égratigner cette image d’Epinal… Mais je n’ai rien trouvé… Lui redonner vie, transcender la tragédie de son assassinat qui l’a figée à jamais, était pour moi un service à rendre à son talent. » Télérama n°3629 p.4), le meilleur service rendu par Tarantino à Tate est d’avoir décidé d’inclure des extraits de The Wrecking crew (1968) au sein de son propre long-métrage. Cette scène où la Sharon Tate incarnée par Margot Robbie découvre sa performance au travers de celle de la réelle défunte ne fait alors que souligner davantage le contraste saisissant entre l’épouse de l’époque de Roman Polanski et l’ersatz qui en est fait par celle que nous avions mondialement découvert à l’occasion du Loup de Wall Street. Au-delà d’une femme naïve et rêveuse, il ne reste de la Sharon Tate que nous laisse à voir Quentin Tarantino qu’une cruche plantureuse.
A l’exception d’un dialogue mentionnant l’achat du Tess d’Uberville de Thomas Hardy pour son mari (que R. Polanski adaptera 10 ans plus tard sur le grand écran), l’intelligence de Sharon Tate est délaissée pour contenter le spectateur d’énième plans révélateurs du fétichisme podal de Tarantino, qui, bien qu’il soit un secret de polichinelle, en devient à la force lassant. Quel dommage qu’il ait été si maladroit dans le « service qu’il a voulu rendre [au] talent de [Sharon Tate] » lorsqu’on a à l’esprit les personnages féminins mémorables créés par ce réalisateur à l’occasion de ses précédents films, qu’il s’agisse de la redoutable Beatrix Kiddo, de la sulfureuse Mia Wallace ou des courageuses Broomhilda, Shosanna ou Bridget von Hammersmark pour ne citer qu’elles. On est à des années-lumière de notre Tarantino féministe (même si tel attribut peut être débattu), à savoir celui que l’ACD avait pris le soin de mettre en avant dans son quatrième point sur le top 10 des raisons pour lesquelles Tarantino est le meilleur réalisateur du monde. J’aurais en effet adoré un dialogue riche et si caractéristique de son cinéma, cet aspect étant ici en deçà de son écriture incisive habituelle, entre les personnages de Margot Robbie et de Brad Pitt, Cliff Booth étant le personnage pivot de la réalité alternative de Tarantino. C’est en effet la doublure de Rick Dalton qui est le personnage fictif qui côtoie le plus la Manson family tout au long du récit. Il aurait été d’autant plus intéressant d’exploiter un tel dialogue lorsqu’on a en tête la piste non exploitée de l’épouse potentiellement assassinée par Cliff et qui, à l’exception d’un court flashback, n’est jamais remise au-devant de la scène et ne sert qu’à nourrir le background de ce personnage.
Bilan
Ainsi, il est très probable que le dernier Tarantino fasse une fois de plus couler beaucoup d’encre et ce pendant encore quelques semaines. Il est cependant pour ma part regrettable que la polémique qui se soit le plus dégagée, au moment où sont écrites ces lignes, concerne l’interprétation qui est faite par Mike Moh de Bruce Lee, et ce davantage que le portrait qui est fait de Sharon Tate. Si Bruce Lee nous apparaît comme un personnage arrogant lors de la scène de combat de Cliff, il n’en reste pas moins extrêmement sympathique à l’écran voire tout à fait compétent puisqu’il est montré que c’est lui qui a enseigné à Sharon Tate quelques principes martiaux élémentaires en vue de préparer au mieux sa scène de combat dans The Wrecking Crew. Cette arrogance est d’autant plus à relativisée lorsqu’on a l’esprit qu’elle sert surtout à illustrer la grande force de Cliff, force qui sera de nouveau mise à l’épreuve lors de la scène finale. Le potentiel martial de Cliff n’est alors pas sorti de nulle part et frôle presque l’indécence au vu de sa consommation de LSD ! Concernant Sharon Tate et le sort qui lui est réservé dans le film, je peux comprendre l’argument de la liberté d’expression artistique en vertu duquel le réalisateur peut jouer ironiquement et satiriquement de la mort d’individus dont les proches sont encore pour la plupart vivants sous prétexte qu’un tel évènement appartienne à l’histoire collective[3]. J’ai en revanche beaucoup de mal à le cautionner, dès lors, que l’histoire collective qui est ici fantasmée et racontée, ne fait que dépeindre une femme se réduisant à un physique avantageux et qui, dans cette version, se trouve bien chanceuse que la Manson Family s’en soit prise à son voisinage et non à elle.
On ne peut donc que dire longue vie à Tate dans le « Tarantino Universe », en espérant que la prochaine fresque du réalisateur (qui devrait être logiquement sa dernière s’il est un homme de parole) ne se contente pas de recréer une époque mais nous transcende cette fois-ci davantage, comme cela a été le cas à de nombreuses reprises… « Yeah, that’s probably a good idea ».
Maxence Van Brussel
[1] « Il ne s’agit pas vraiment de l’histoire de [Roman Polanski] … Je ne vous en dirai pas plus : je ne veux pas dévoiler la fin de Once Upon a Time in Hollywood. » Télérama n°3629 p.4.
[2] A la recherche du temps perdu, M. Proust (1918)
[3] « Le cinéma permet de se raccrocher à des faits réels, tout en les revisitant. Se réapproprier l’Histoire, comme je l’ai fait dans Inglorious Basterds, fait partie du pouvoir du réalisateur, de la magie du cinéma. » Télérama n°3629 p.4