Pas facile de poser un regard critique devant le chef-d’œuvre incontesté de Fellini, qui donna son nom à une expression bien connue : la Dolce Vita. Cela demande déjà du temps (et de la motivation : 2h47 de film tout de même), et surtout de garder un œil attentif pour tenter d’en comprendre les subtilités.

Construit sous forme de comédie humaine, la Dolce Vita raconte l’histoire de Marcelo (interprété par le mythique Marcello Mastroianni), journaliste à scandale désillusionné, passant de femme en femme et prisonnier d’une fiancée jalouse. Son métier de paparazzi l’amène à fréquenter les lieux de vie nocturne de la capitale italienne, faite d’excès et de divertissement, sur fond de questionnement existentiel.

La caméra de Fellini et toute la narration suivent les déambulations de Marcello, les autres personnages du film (majoritairement féminins) n’existant qu’aux travers des relations qu’ils entretiennent avec lui. On les découvre au rythme des rencontres de Marcelo, en comprenant au fil de l’histoire qu’ils ont tous une caractéristique commune : ils sont mélancoliques et désorientés. Prenons par exemple sa maitresse Madalenna, richissime héritière insatisfaite et incapable d’engagement, ou encore Steiner, intellectuel qui parait à première vue jouir d’un équilibre familial, pour qui Marcello a grande estime, et qui finit par se tuer par peur de se propre existence. Un personnage rompt néanmoins avec la nostalgie ambiante du film et fascine Marcello par sa feinte naïveté et sa beauté : Sylvia, vedette de cinéma ; objet de désir et figure d’insouciance par excellence.

Plus encore que l’histoire de Marcelo, le film dépeint un personnage grandiloquent : Rome elle-même. Incandescente et scandaleuse, elle reflète l’insouciance forcée de ses personnages excessifs, perdus et désorientés par leur argent, leur désir et pour qui il est difficile de dire ce qui a le plus de valeur : l’amour, l’argent ou le désir. Marcello, pétri d’une véritable ambition journalistique et littéraire en arrivant à Rome, s’est laissé aspiré par ce monde d’artifices, de tromperies, de rencontres et finit par perdre ses repères :  la femme qui lui porte un véritable amour et ses idéaux journalistiques et littéraires. Le désir a remplacé l’amour et l’argent a a pris le pas sur les ambitions intellectuelles. Ce qui le structurait initialement et l’animait s’est dilué à mesure de ses désillusions : le suicide de son ami, le désengagement de Maddalena, le départ soudain de son père de passage à Rome, alors qu’il pensait enfin s’en rapprocher. Le paroxysme de cette déchéance, montrée sous un regard cruel et acerbe, est une des dernières scènes dans laquelle on voit Marcello et ses amis ivres à une soirée. Cynique, humiliant et moqueur, le personnage principal est devenu le reflet de sa perte de foi totale en ses idéaux initiaux. La scène finale éclaire néanmoins la fin du film : une jeune fille, comme une apparition, pose un regard innocent sur Marcello qui le lui rend avec bienveillance, comme si une part de lui-même demeurait attendrie, et maintenait l’espoir de le voir recouvrir ses idéaux initiaux.

Comme de nombreuses scènes du film, cette fin reste ouverte à interprétation. Le film lui-même n’offre que peu de clefs de compréhension, si ce n’est le genre cinématographique,  « réalisme visionnaire » du cinéma italien des années 50-60 (Edouard Dor). Fellini s’inspire d’une époque, d’une ville d’une société filmée en tant que simple observateur, tout en y injectant un trouble existentiel caractéristique de ses contemporains.

Contrairement à son titre, la Dolce Vita n’est pas un Feel-Good movie, mais un tableau fidèle d’une Rome entrant d’une nouvelle ère.

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Emma De Bouchony

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