Il y en a un que je n’ai jamais quitté malgré les années qui nous séparent et les films qui se sont accumulés dans ma vie. Comme beaucoup, enfant, je l’avais adoré en valet amoureux au côté de Louis de Funès dans La Folie des Grandeurs. Puis vinrent les films plus « sérieux » signés Sautet, Clouzot, Berri ou Melville. J’aimais me l’idéaliser en oncle un peu provocateur et toujours prêt à pousser la chansonnette au milieu du repas ou ne refusant jamais une partie de pétanque du moment qu’elle est entre ami.e.s. Ce qui me fascinait chez lui, c’était sa capacité à montrer son propre bonheur de jouer au spectateur. Il s’amusait autant que nous. Quelques secondes me suffirent alors pour trouver un film une fois la thématique « Amour toujours » annoncée et ça ne pouvait être que Tout feu, tout flamme de Jean-Paul Rappeneau (1982) avec en tête d’affiche cet acteur qui m’est si cher : Yves Montand.
Si le côté hâbleur de Montand lui fait avaler ses partenaires de jeu dans la plupart de ses films, dans cette œuvre culte des années 80 il fait force égale avec l’immense Isabelle Adjani. Cette dernière abandonne le rôle de femme tourmentée pour interpréter Pauline, une jeune polytechnicienne qui doit s’occuper seule de ses deux sœurs et de sa grand-mère car le père, Victor, interprété par Montand, a abandonné sa famille au profit de sombres activités de casino.
Ils sont rares ces films desquels on peut dire qu’ils « donnent envie de vivre ». Tout feu, tout flamme en fait partie. Cela tient d’abord par l’interprétation de ses acteur.rice.s. D’ordinaire au cinéma, c’est la tâche des parents de protéger leurs enfants. Ici tout est inversé car si Pauline est plus jeune que Victor, lui reste un éternel enfant prêt à tout pour faire des affaires et ne pas perdre la face devant sa famille qu’il a si longtemps délaissée, allant même jusqu’à se lancer à nouveau dans des opérations de jeux frauduleuses. Pauline qu’on présente comme droite dans ses bottes, tirée à quatre épingles et le doigt sur la couture, est incapable d’aimer son petit ami Antoine (Alain Souchon) car occupée à faire vivre sans famille et à raisonner « cet enfant qu’elle a eu si tôt ». Montand, plus swingueur que jamais, joue le méditerranéen frivole et séducteur. Les deux portent l’un envers l’autre un regard méfiant mais toujours profondément bienveillant. Pourquoi Victor ne mûrit-il pas ? Pourquoi Pauline est-elle incapable d’exprimer ses sentiments ? Autant de questions qui amènent alors Pauline et Victor dans une cavalcade où la fille cherche à sauver son père sur le point de mettre sa vie en danger.
Rappeneau dirige d’une main de maître ce film où tout n’est que mouvement, grâce et volupté. Les personnages ne s’arrêtent jamais, ils courent, trébuchent, chantent, dansent, tapent du pied, s’engueulent et s’amourachent. De la tragédie d’un père au bord du chaos, le burlesque surgit avec force. Le réalisateur croque avec gourmandise les cascades d’Adjani et les regards malicieux de Montand dans un carnaval vibrionnant. Ces va-et-vient permanents sont magnifiés par la partition exceptionnelle de Michel Berger qui exprime parfaitement cet « amour toujours » ; l’amour mutuel que se portent un père et une fille.
Amour toujours ? C’est l’amour qui persiste malgré le chaos, quand les deux personnages sont au bord du gouffre. D’autres réalisateur.rice.s privilégient la douleur, Rappeneau filme la rondeur et la plénitude des sentiments humains. La coiffure ébouriffée d’Isabelle Adjani, la main d’Yves Montand sur l’épaule de sa fille ; autant de signes qui témoignent de l’amour discret et éternel qui unit Pauline et Victor.
Cet « amour toujours » est aussi, de façon plus personnelle, l’amour que l’on porte à ses idoles d’enfance. Voir Montand jouer, c’est me revoir à 7 ans sur les genoux de mes parents, comme une façon de lutter contre le temps qui passe.
Omer Gourry