Multi-récompensée lors des derniers Emmy, la satire grinçante de Mike White revient cet automne pour une deuxième saison. Après Hawaï, bienvenue en Sicile où plusieurs vacanciers s’apprêtent à passer une semaine riche en émotion et en phéromones.
Les Superprédateurs
Il y a un peu plus d’un an, nous faisions la rencontre d’une riche héritière malheureuse, d’un couple fraîchement marié et d’une famille dysfonctionnelle, lors de leur arrivée dans le complexe hôtelier de Maui sur l’archipel d’Hawaï. En seulement 6 épisodes, la série de Mike White s’était imposée comme la meilleure de l’année : celle-ci dézinguait tour à tour les inégalités de classe, de genre ainsi que la masculinité toxique, le tout avec un humour décapant et un sens du rythme impeccable. Quel ne fut le bonheur des fans lorsqu’HBO annonça une saison 2 et le retour de l’impériale Tanya McQuoid, rôle qui a valu à Jennifer Coolidge un Emmy et une consécration tant attendue.
Cette nouvelle saison, diffusée en France sur OCS depuis le 31 octobre, reprend le même postulat macabre que la précédente : des cadavres sont découverts sur la plage de l’hôtel à Taormine, et nous revoilà partis une semaine en arrière pour assister à l’arrivée de nouveaux vacanciers : un père, un fils et son grand-père venus renouer avec leurs racines siciliennes ainsi que deux couples dont l’amitié semble aussi fausse que les sourires de la gérante de l’hôtel, Valentina. La très névrosée Tanya, quant à elle, est venue rejoindre son mari, accompagnée de sa jeune assistante Portia.
Les riches sont sur un bateau, les riches tombent à l’eau
Pour cette nouvelle saison, Mike White a vu les choses en grand, à commencer par le casting : Aubrey Plaza, l’inoubliable April dans Parks and Rec, joue Harper, une avocate désagréable, insensible aux arrogantes pitreries de l’ami de son époux, incarné par la star Theo James. On note le retour de Michael Imperioli – le mythique Cristopher des Soprano – ainsi que les superbes prestations de deux siciliennes locales, Mia et Lucia, venues passer du bon temps en compagnie des résidents de l’hôtel. Les personnages de cette deuxième saison sont donc un peu plus discernables, un peu plus caricaturaux, mais c’est sans compter sur la capacité de Mike White à analyser sociologiquement les rapports de pouvoir et à tirer à boulets rouges sur les classes CSP ++.
Or, si la première saison faisait son beurre des rapports de classe, entre dominants et dominés, et mettait aussi à mal la pensée universitaire woke américaine, les enjeux sont désormais différents. Mike White s’attaque aux relations amoureuses et sexuelles de ses personnages ; autrement dit, il s’intéresse à l’amour sous sa forme la plus répandue culturellement, soumise au joug du patriarcat. Car sous les canons romantiques qu’on lui a attribués, l’amour serait en réalité un sentiment bestial, un irrépressible besoin que nous avons de nous reproduire pour perpétuer l’espèce ; il ne serait même qu’une réaction chimique hormonale, s’opérant à l’arrière de notre cerveau. Comme le dit un adage à la mode, ce n’est pas le cœur qui décide, mais le système limbique.
Cette fois, les personnages renouent donc avec leurs instincts primaires : ils sont plus féroces, vicieux et cruels. Les hommes comparent leur réussite financière, les femmes comparent leur bonheur et tous réalisent qu’ils sont aussi désespérés les uns que les autres. A chaque instant de cette série, nous ressentons de la pitié pour ces personnages, qui ont tout à leur disposition, et que leur appétit vorace pour le toujours plus empêche d’accéder au bonheur. C’est peut-être là le rapport le plus intéressant opéré dans cette saison : la monogamie et la fidélité, tous ces principes culturels bâtis depuis des siècles sur les fondations de notre monde contemporain, répondent paradoxalement à une logique primale bien précise. Dès lors, comment y échapper ? Une scène évoque particulièrement bien cet enjeu : lors d’une virée shopping entre filles à Noto, Daphné partage avec Harper sa pitié pour les hommes, voués à errer solitairement dans le monde, à l’instar de l’éléphanteau mâle, chassé du troupeau une fois adulte ; au même moment, leurs époux respectifs s’engagent dans une lutte symboliquement fratricide, une course de jet ski en plein mer.
Les nouveaux épisodes de White Lotus enrichissent alors leur timbre grinçant et moqueur avec un ton plus sombre et plus inquiétant. Les plans sur les fonds marins, la lumière parfois obscure, les regards de prédateurs que se jettent les personnages, tout laisse à penser qu’avant la fin du séjour, l’irréparable sera commis. Attention, la série reste une satire sociale remarquablement drôle, jouissive et pertinente. Enfin, quelques mots sur la musique car White Lotus ne serait pas elle-même sans sa bande-son : le compositeur Cristobal Tapia de Veer troque les sonorités folkloriques hawaïennes de la saison 1 pour des tonalités italiennes plus baroques, mais toujours aussi entêtantes. La saison 2 de White Lotus s’impose donc comme l’évènement série incontournable de cet automne. Il n’est pas étonnant qu’elle ait été renouvelée pour une saison supplémentaire. On ne peut qu’espérer qu’elle sera aussi intelligente et sagace : après Hawaii et la Sicile, vers quelle destination paradisiaque vous envoleriez-vous ?
Raphael Dutemple