Touchant, parfois drôle mais souvent confus, le dernier film du maître de l’animation japonaise Hayao Miyazaki continue d’impressionner par sa maîtrise plastique, malgré un scénario qui prend un peu l’eau.
« Le Garçon et le Héron » : cela pourrait presque être une fable de La Fontaine. D’autant plus que l’on connaît le goût de Miyazaki pour la poésie française notamment dans son avant-dernier film Le Vent se lève, dont le titre est un extrait du poème Le Cimetière Marin de Paul Valéry. Le début de ce nouveau film s’apparente plus à une exposition de caractères, recentrant ainsi l’inspiration du maître japonais vers le 17ème siècle français ou la littérature de son propre pays.
Après la disparition de sa mère dans un incendie, Mahito, un jeune garçon de 11 ans, doit quitter Tokyo pour partir vivre à la campagne dans le village où elle a grandi. Il s’installe dans un manoir avec son père et sa nouvelle belle-mère, Natsuko, une femme qui ressemble étrangement à sa défunte mère. Alors qu’il essaye de s’acclimater à son nouvel environnement, un héron cendré parlant tourmente Mahito et le surnomme « celui que l’on attendait depuis longtemps ».
Les voyages forment la jeunesse
Plus chêne que roseau, Mahito ne faiblit pas. Il tente de s’habituer à sa nouvelle vie, non sans une certaine rectitude. Aussi bien avec ses domestiques qu’avec ses camarades de classe, Mahito ne plie jamais et est proche de la rupture, amenant ainsi une scène surréaliste, où après s’être battu, le jeune homme se brise une pierre sur le coin du crâne. Quelque chose de la violence du Japon, si pauvre depuis l’incendie en amorce de film, résonne avec la littérature de Mishima ou le cinéma d’Imamura. Peu découragé par les incessantes relances du héron, Mahito s’aventure dans un histoire qui entremêle l’intime de ses liens familiaux et l’universel de l’équilibre mondial en danger.
Le motif du voyage initiatique est au cœur du cinéma de Miyazaki : Chihiro voulait sauver ses parents transformés en porc, Shihita et Pazu rêvait de fouler le château dans le ciel, Ashitaka tentait de conjurer la malédiction qui le condamnait etc. Pour Mahito, il s’agit de retrouver sa belle-mère disparue aux confins d’un monde imaginaire. Ainsi, croisera-t-il sur sa route des créatures, une aventurière solitaire et toutes sortes de personnages fantasques qui composent l’œuvre du maître japonais.
Une célébration des éléments
En ce sens, Le Garçon et le Héron renoue avec les premiers Miyazaki et s’écarte du sublime Le Vent se lève, ode à l’aviation sur fond de désastre mondial. Pour autant, l’animation, toujours aussi sublime des Studio Ghibli, célèbre avec force la terre, le feu, l’eau et l’air. Ce dernier motif, si difficile à mettre en animation car impalpable à l’écran, est le souffle épique qui amène Mahito à retourner des montagnes pour trouver Natusko. Certain.e.s verront dans Le Garçon et le Héron, un film testamentaire, où Miyazaki dissimule des clins d’œil à ses précédents chefs-d’œuvre. Mais c’est sans lourdeur que le spectateur retrouvera l’univers mental du maître japonais qui plait tant au public européen.
Un scénario trop touffu
Le héron est un animal menteur, apprend-t-on dans le film. Cependant, on a plutôt l’impression que c’est Miyazaki qui nous a menti pendant les dernières 90 minutes en arrivant à un enchevêtrement de démêlés d’une telle complexité qu’une chatte n’y retrouverait pas ses petits. Au départ, l’intention est tout à fait louable et effleure même le chef d’œuvre. Le Garçon et le Héron s’annonçait comme un film magnifique sur la maternité et les liens de cœur plus forts que les liens de sangs.
Quand Mahito, trop occupé à construire une flèche pour chasser le héron, fait malencontreusement tomber un livre annoté par sa mère décédée et intitulé Et vous, comment-vivrez-vous ?, on a presque les larmes aux yeux. C’était là que le film aurait dû s’engager au lieu de se détourner vers une fable un peu absconse sur l’équilibre du monde. Les intrigues directes dans un univers complexe, c’est la marque de réussite de Miyazaki, qui a su se frayer un chemin inouï dans le cinéma mondial par la grande authenticité des sentiments des personnages qu’il crée.
Le problème de l’adaptation littéraire au cinéma ?
Et vous, comment-vivrez-vous ? est le roman pour la jeunesse publié en 1937 par Yoshino Genzaburô dont Le Garçon et le Héron est l’adaptation au cinéma. Le titre du livre n’est pas sans lien avec la suite du vers de Paul Valéry dont est tiré l’avant-dernier film de Miyazaki : « Le vent se lève, il faut tenter de vivre ».
Cette injonction à vivre n’anime pas Le Garçon et le Héron comme il animait les précédent.e.s héro.oïne.s de Princesse Mononoké ou du Voyage de Chihiro. Mahito est un jeune homme attachant mais que l’intrigue, à force de péripéties, de soubresauts et de complexité, ne nous permet pas d’apprécier pleinement. A sa décharge, le film brasse de nombreuses références à la culture japonaise qui échappent aux seules propriétés du voir.
Après près d’un demi-siècle de cinéma, on retiendra surtout de Miyazaki des œuvres plus profondes qui interrogent les liens entre le Japon, la Nature et son histoire, que cette dernière soit moderne comme dans Le Vent se lève ou traditionnelle comme dans Le Voyage de Chihiro ou Princesse Mononoké.
Omer Gourry