Dans une Chine comme suspendue dans le temps, Fei, jeune homosexuel venu de province, se prostitue dans la grande ville pour échapper à son petit village natal et à sa misère. Moneyboys suit sa fuite en avant sur plusieurs années et, à force d’ellipses ou de longs plans séquences, s’approche au plus près des émotions et de la psychologie du jeune homme.

À peine recruté, il est pris sous l’aile de Xiaolai, un autre prostitué un peu plus âgé, un peu plus expérimenté, mais aussi fou amoureux de lui au point de mettre sa vie en péril pour le venger d’un client violent. C’est dans ce climat à la fois instable et malsain que la première partie du film consacre les premières fois de Fei : ses premières passes, son premier amour, ses premiers chocs, sa première prise de conscience, aussi.

On le retrouve alors cinq ans plus tard, dans un appartement décoré avec goût ; plus affirmé, plus beau, toujours impeccable et élégant, qui se meut gracilement d’un client à l’autre. On remarque aussi qu’à sa fougue des débuts a succédé une mélancolie et une lassitude inextinguibles.

C’est qu’en cinq ans, Fei a eu le temps de s’abîmer un peu plus dans cette nouvelle vie dont il a épuisé chaque recoin. Une mésaventure le poussera à retourner passer quelques jours dans son village natal et à affronter à nouveau la pauvreté, la mort, l’incompréhension et l’homophobie de ses proches. À partir de là, que faire ? Toujours sur une ligne de crête, Fei est condamné à errer entre sa vie de prostitué et un idéal amoureux qu’il ne se sent pas le droit de mériter.

Moneyboys n’est ni la condamnation de la prostitution, ni sa glamourisation. Ses images alternent entre la beauté plastique des acteurs, des décors et des paysages, et une ambiance poisseuse dans laquelle se sont englués Fei et ses compagnons. Les plans sont longs et beaux, le réalisateur C. B. Yi ayant pris le temps de poser là sa caméra pour saisir chaque mouvement, chaque parole et chaque souffle de ses fascinants personnages. Bien qu’alanguis devant le film, nous comprenons qu’en toile de fond se dessine, bien plus qu’un portrait esthétisé du travail du sexe, l’enjeu cruel de la répression de l’homosexualité dans la société chinoise et l’injonction à rentrer dans la norme – ironiquement, plusieurs anciens camarades de Fei finiront mariés à des femmes.Pourtant, derrière cette fatalité apparente, les rencontres que fait le jeune homme permettent de raviver l’espoir et lui montrer que rien ne le condamne à être ce qu’il n’est pas. L’irruption d’un vieil ami de son village d’enfance, qui cherchera lui aussi à devenir prostitué contre l’avis de Fei, le place dans la position que Xiaolai a adoptée à son égard plusieurs années auparavant et lui fait entrevoir la possibilité d’un amour et d’une vie commune. Durant ces deux heures éthérées l’on voit Fei se confronter à ses vieux démons et enfin prendre son envol, comme le suggère une conclusion douce-amère et sublime, sublime comme l’a été Moneyboys.

Justine Lieuve

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