Ouistreham d’Emmanuel Carrère c’est l’adaptation d’un roman fort, celui de Florence Aubenas, Le Quai de Ouistreham paru en 2010 et récompensé du globe de Cristal en 2011.

Le livre autobiographique d’une écrivaine qui se glisse dans la peau d’une femme cherchant désespérément un travail quitte à accepter des travaux précaires n’est peut-être pas attirant de premier abord. Seulement, sous la caméra d’Emmanuel Carrère, le livre sera plus vite que vous ne le pensez dans votre panier Fnac.

Marianne (Florence Aubenas), écrivaine reconnue, se lance corps et âme dans sa nouvelle vie pour l’écriture de son prochain livre. Elle entend sans cesse parler de la crise, mais qu’est-ce vraiment que la crise pour les personnes concernées en première ligne, celles que personne ne voit ?

Elle s’accorde un RSA avec lequel elle paye un petit appartement dans un HLM à Caen et passe ses journées à arpenter les salles d’attente de Pôle emploi et les salons des petits boulots jusqu’à dégoter un emploi de femme de ménage. Elle y fera la connaissance de Marilou, jeune fille de 20 ans qui travaille pour aider sa famille et payer son permis, ainsi que Christèle, jeune mère au foyer qui peine à joindre les deux bouts. Deux personnages clef qu’elle retrouvera notamment sur le Ferry, le bateau à nettoyer en 1h30 qui fait escale sur le quai de Ouistreham. Bien que sa réelle identité soit découverte par sa conseillère Pôle emploi, le secret reste et lui permet de réunir son expérience sur le petit carnet qui devient son compagnon de route.

Mal de dos, reprise de la cigarette, humiliation, tâches ingrates et condescendance de la part de ses supérieurs, elle noue pourtant une amitié solide avec ses collègues, amitié à travers laquelle elle découvre l’entraide et la solidarité qui unissent ces invisibles.

Une situation difficile mais dans laquelle elle semble s’épanouir, entourée d’amies sincères prêtes à tout pour l’aider et dans laquelle elle se projette, notamment en faisant une promesse de rendez-vous annuels sur le ferry.  Seulement, la réalité rattrape la fiction, et le poids de son secret pèse de plus en plus lourd dans son esprit. Marianne va devoir perdre ses ami.e.s pour la rédaction de son livre, une relation si forte et une Juliette Binoche époustouflante que l’on regrette que cela ne soit qu’une infiltration.

Ce récit, sublimé par l’interprétation de Juliette Binoche qui s’affiche sans filtre ni faux-semblant où elle donne la réplique à des acteurs-rices non professionnel.le.s dont deux connaissances de Florence Aubenas. Hélène Lambert, qui interprète le rôle de Christèle en finesse tout en sonnant affreusement vrai, est elle-même agent d’entretien dans les écoles et les entreprises.

Une tension règne tout au long du film, par le secret inavouable de Marianne mais également par la pleine réalité que l’on « se mange en pleine face » quant à ces femmes de ménages à qui personne ne dit bonjour ni ne prête attention. Cette tension retombe malheureusement maladroitement, dans une volonté de cliffhanger donnant suite à une scène et un dialogue surréalistes.

Malgré une chute peu subtile, le film réussit son exploit de nous faire vivre le quotidien des personnes au travail précaire, et de nous faire voir les invisibles. Il raconte l’expérience exceptionnelle de l’écrivaine et son dévouement le plus total dans l’écriture de son ouvrage. Une expérience qui dépasse la seule volonté d’écrire un best-seller mais de véritablement mettre en lumière que ce que nous considérons comme acquis, à savoir ce qu’est la crise ou la précarité, qui dépasse de loin nos tristes espérances.

Certes, il ne changera pas la manière dont la plupart des personnes pensent et agissent face aux invisibles, mais il a le mérite d’exposer au grand jour une sorte de chance que nous avons, nous les visibles, tout en mettant des images sur le concept abstrait de la précarité.

Un film qui vous donnera envie de tout quitter pour vous lancer dans une nouvelle vie afin d’enquêter sur les plus petits recoins de la société, c’est un pari réussi.

Léa Diard

 

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