Diffusée aux Etats-Unis quelques jours avant le début de la grève à Hollywood, Jury Duty est enfin disponible en France sur Amazon Prime Video. Un OVNI télévisuel malaisant, qui restera sûrement comme l’une des caméras cachées les plus ambitieuses et les plus réussies.

Ne souriez pas, vous êtes filmés

Au Tribunal Civil d’Huntington Park, à Los Angeles, se tient un banal procès : la patronne d’une marque de vêtements assigne en justice l’un de ses employés d’usine. Un jury, composé de 12 jurés, doit assister à toutes les audiences et se mettre d’accord sur un verdict. Sauf que voilà, ce procès est complètement fictif. Le demandeur, le défendeur, leurs avocats, le juge, tous sont des acteurs ; les jurés aussi, sauf un. Ronald Gladden, 29 ans, originaire de San Diego, pense participer à un simple documentaire sur la fonction de juré ; en réalité, il est la victime d’une immense supercherie.

Jury Duty est un projet extrêmement ambitieux : filmer en caméra cachée un procès du début à la fin, ainsi que le quotidien des jurés, confinés dans un hôtel le reste du temps. Tout est scénarisé, tout est mis en scène, sauf les réactions de Ronald Gladden, qui assiste, médusé, à des évènements tout aussi improbables les uns que les autres. Pari ambitieux, mais pari réussi. Jury Duty est tout simplement hilarant, et d’une grande intelligence. Les situations, toutes grotesques et malaisantes, fonctionnent à la perfection, tant les acteurs s’investissent dans leur rôle au point d’en oublier qui ils sont réellement. Le timing comique y est toujours impeccable, à la fois extrêmement minutieux et d’une spontanéité géniale.

Parmi les collègues jurés de Ronald, on trouve James Marsden (Westworld, The Notebook), dans son propre rôle, mimant l’acteur hollywoodien narcissique et imbus de lui-même, mais aussi des personnalités plus atypiques, avec qui Ronald va tisser de vrais liens : un inventeur mal dans sa peau, une libertarienne excentrique… Les témoins et experts qui se succèdent à la barre pendant ce procès fictif sont tour à tour gaffeurs, exhibitionnistes, incompétents etc…

Moralement douteux ?

À sa réception, Jury Duty en a fait tiquer plus d’un. Réaction compréhensible : The Truman Show de Peter Weir, sorti en 1998, inspire en grande partie cette entreprise, et le personnage incarné par  Jim Carrey est loin d’avoir un sort enviable. La série rappelle aussi la saison 1 de The Good Place (Michael Schur, 2016-2020, Netflix) et ceux qui ont vu la série savent que ça n’est pas non plus une bonne nouvelle… Certains évoquent donc une plaisanterie de mauvais goût, dont Ronald aurait pu sortir avec de sérieuses séquelles post-traumatiques. Car la supercherie ne s’arrête pas qu’au procès : pendant 3 semaines, la moindre personne à qui il parle est un acteur. Partout où il va, des caméras le suivent et filment ses réactions face à des scénarios et péripéties pensés préalablement – ou pas, et c’est tout le génie de l’improvisation des acteurs qui l’entourent. Le confinement dans un hôtel signifie qu’il n’a pas accès à son téléphone ou à Internet, ce qui aujourd’hui, peut être assez déroutant émotionnellement.

Et les critiques seraient parfaitement fondées si la série se moquait de Ronald, ou le plaçait dans des situations stressantes ou humiliantes. Or, ça n’est jamais le cas. Mieux, la série devient très vite “The Ronald Gladden Show”, et chaque épisode devient l’occasion  de mettre en valeur ce héros au grand cœur. Car Ronald est bel et bien un héros, gentil et tolérant, jamais dans le jugement ou la critique, et toujours game pour les lubies de ses collègues. À la fin de la saison, tous sont tombés sous le charme, le public aussi, de ce juré qui prend son rôle très à cœur, et qui deviendra une superstar aux Etats-Unis pendant la diffusion.

Plus que drôle, la série en devient une aventure humaine touchante, pour le spectateur, comme pour Ronald et l’équipe. Lors du dernier épisode, la supercherie lui est révélée, et le public découvre avec lui l’envers du décor de ce projet atypique. Il gagne au passage 100 000$, ce qui n’est jamais une nouvelle désagréable. 

Un projet important ?

Le 02 mai 2023, la Writers Guild of America, le syndicat des scénaristes aux USA, appelle à la grève générale et collective. En effet, les auteurs et l’AMPTP, l’association des producteurs, n’ont pas réussi à se mettre d’accord lors de la renégociation de leurs contrats : en cause, un salaire minimum trop faible et des conditions de travail devenues précaires. Quelques mois plus tard, les quelque 100 000 acteurs et actrices d’Hollywood rejoignent la grève. 

La diffusion de Jury Duty, qui coïncide avec le début de la grève, rappelle à quel point la liberté artistique et créative des auteurs.ices n’a pas de prix. Surtout lorsque les studios envisagent de remplacer ses auteurs par des intelligences artificielles : il va de soi qu’une IA n’est pas en mesure de créer une œuvre filmique et encore moins une comédie, car elle n’a pas le recul ni l’intelligence nécessaire à toute invention comique.  La sensibilité et l’œil des créateurs.ices restent essentiels pour créer une œuvre qui soit digne de raconter quelque chose de notre humanité, de nos travers et de notre époque, tout en faisant rire le spectateur.

En l’occurrence, Jury Duty nous rappelle qu’il ne tient qu’à nous d’essayer d’être positif et de répandre le bien, même quand tout paraît absurde ou vain. Le projet met également en avant l’ingéniosité et l’imagination d’une équipe technique, capable de monter une supercherie et d’en superviser les moindres détails. 

Jury Duty est une œuvre bluffante, qui mérite amplement ses 4 nominations aux Emmy Awards. Pour rappel, elle est disponible en intégralité sur Amazon Prime Video. Et pour ceux qui resteraient sur leur faim, l’intégralité de la série avec les commentaires audios d’une partie de l’équipe est également disponible en bonus. Indispensable pour prolonger l’expérience !

Raphael Dutemple

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *