Dans son 27ème long-métrage, Martin Scorsese dépeint une société en déliquescence, sous l’emprise du Mal depuis l’apparition de meurtres ciblés sur la tribu amérindienne des Osages. Critique garantie sans spoils !

Nous sommes dans les années 1920. Les Etats-Unis amorcent difficilement le 20ème siècle après une guerre sanglante qui confisquera une partie de la jeunesse de ce pays. Ernest Bukhart, un conscrit un peu benêt, interprété par Leonardo DiCaprio, rentre chez son oncle, William Hale dit « King », interprété par Robert De Niro. Ce dernier propose à Ernest de travailler chez lui à Fairfax, dans l’État de l’Oklahoma.

Le vrai visage de l’Amérique

A Fairfax, Ernest ne tarde pas à découvrir que les Indiens – les Osage – sont immensément riches. Ils sont propriétaires de leur réserve et sont installés sur des terres gorgées de pétrole. Les Osage vivent de la rente de ces terres et ne peuvent être délogés grâce à des accords d’exploitation. Après cette image d’Épinal où Américains et Amérindiens cohabitent, un enchaînement de plans fixes illustre une série de morts suspectes ciblant spécifiquement les Osage. Pendant qu’Ernest s’entiche d’une amérindienne du nom de Molly, interprétée par Lily Gladstone, les morts se multiplient.

Malgré ses 3h30, on ne sait pas vraiment dans quel genre se situe le film, et c’est là sa force. Le début détruit rapidement le côté pittoresque d’une possible épopée américaine où un Héros – the strong silent guy dirait Tony Soprano – viendrait délivrer un peuple. Ce qui intéresse le réalisateur, c’est construire une « certaine histoire de l’Amérique » absolument magistrale, où le Mal, sous toutes ses formes, circule entre les êtres. Scorsese développe un monde qui court lentement à sa perte. Il se donne les moyens pour raviver une époque grâce à des photos d’archives, des dialogues entiers en langue osage et une bande-son très bien choisie. En partant de cette “certaine histoire de l’Amérique”, le film atteint une universalité qui questionne le spectateur sur sa propre époque.

Comme dans un grand roman, la tentation de la somnolence chatouille le spectateur. Mais après tout, l’ennui au cinéma, comme en littérature, n’est pas si inintéressant. Ce qui compte, ce n’est pas tant la vitesse mais le rythme. De ce point vue, Killer of the Flower Moon, serait comme un morceau des Pink Floyd : un coup il vous lâche et puis il vous rattrape par des moments d’une fulgurance inouïe. Étant jeune, Scorsese se rêvait prêtre. La question du péché et de la rédemption est au cœur de son cinéma, et de ce film en particulier. Le réalisateur pioche des motifs dans le catholicisme qu’il retranscrit à l’écran. Ainsi, il est difficile de ne pas voir dans la lente et insupportable agonie d’un personnage une figure de Pieta.

Derrière la beauté des images, la monstruosité des âmes

A plus de 80 ans, il y a quelque chose de très émouvant à voir un cinéaste, peut-être l’un des plus grands de la seconde moitié du 20ème siècle, reprendre des scènes d’autres cinéastes de la même trempe. On pense à Sergio Leone lors des arrivées fumantes en gare de Fairfax ou encore à Il était une fois l’Amérique dans des scènes hypnotiques, presque psychédéliques. La composition de l’image est remarquable. Chaque plan pourrait être découpé et analysé tant la maîtrise du cadre et de la lumière étincelle ; rien à voir avec la beauté tapageuse d’un Dune, qui laisse la désagréable impression d’assister à une soirée diapo de 3h.

De Niro et Gladstone forment une composition magnifique, le premier en chef de famille véreux mais sur qui les années ont laissé leur empreinte, la seconde en indienne placide et cramponnée à sa sincérité et sa droiture. DiCaprio en fait un peu trop avec ses joues tombantes et son menton prognathe. N’est pas Marlon Brando qui veut. Cependant, l’écriture du personnage est impressionnante de complexité. Elle se révèle à la fin quand DiCaprio revient au centre de l’intrigue et que gravite autour de lui le FBI, ses camarades et surtout Molly, qui réussira peut-être à les sortir de ce marasme.

Sans en dire trop, la vraie fulgurance arrive 10 minutes avant la fin, quand un  homme brise le 4ème mur et clôture l’épilogue de Killers of the Flower Moon. Difficile alors de ne pas lâcher sa petite larme après 3h30 d’une telle ampleur. 

Omer Gourry

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