(Avant de commencer la lecture de cet article qui va évoquer de manière assez claire et/ou même faire des références à des scènes de viols et d’agression sexistes et sexuelles du grand et petit écran, je tiens à inciter les personnes qui ne souhaitent pas lire de choses à ce sujet à quitter l’article. TW viols, agressions sexistes et sexuelles)

Cet écrit ne prendra pas la forme d’un plaidoyer contre la représentation des violences sexistes et sexuelles à l’écran et des viols car il m’est tout de même difficile de me positionner autour de ce sujet qui m’interroge énormément en tant que cinéphile et féministe. Faut-il ou doit-on représenter le viol au cinéma ? Si la plupart de mes réflexions tenteront de critiquer ces représentations et leur présence à l’écran, je reste pleinement consciente de l’importance des images et de montrer le réel au travers du cinéma. 

Mais ne pas représenter les agressions sexuelles au cinéma, n’est-ce pas limiter la “liberté artistique” des auteur.ice.s et réalisateur.ice.s de films… ?

Avant de brandir les drapeaux en défense de la liberté artistique, il est nécessaire de rappeler que les images et les choix de sujets abordés au cinéma sont politiques. L’œil du. de la réalisateur.ice, ses idées et pensées sont transmises par son art. Il n’existe pas de choses telles que la neutralité au cinéma. C’est dans la continuité de cette idée que naît ma réflexion, la manière de filmer les viols et les agressions sexuelles au cinéma pose problème pour deux raisons principales : les scènes d’agressions et de viols ne peuvent pas être pensées comme des scènes de violence lambda et la société pétrie de culture du viol [1] dans laquelle nous évoluons altère la représentation de celle-ci.

Lorsqu’on regarde un film, on s’attend souvent à un choc, un choc esthétique ou autre, peu importe, mais on ne s’attend pas forcément à en ressortir marqué pour de mauvaises raisons.

Dans son dernier film, Le Dernier Duel, Ridley Scott  retrace l’histoire du dernier duel judiciaire de France. Séparé en trois parties différentes, chacune se concentrant sur le point de vue d’un des personnages, le film questionne les dires de Marguerite de Carrouges (Jodie Comer), qui affirme avoir été agressée sexuellement par Jacques Le Gris (Adam Driver). Les trois parties du film explorent cette accusation en se concentrant sur la vision de l’évènement par les trois principaux protagonistes. Puisque l’histoire parle d’un viol, il convenait donc pour le réalisateur de présenter le viol sous tous les points de vue : celui de l’agresseur et de l’agressée… ( Mais est-ce moralement soutenable de représenter un viol du point de vue de l’agresseur ?)

Le Dernier Duel – Ridley Scott

Pour comprendre si ce viol a eu lieu et les tenants de sa violence, il est alors considéré comme essentiel de représenter cette violence, et cela à deux reprises (une autre scène de viol est présente dans le film mais nous ne nous concentrerons pas dessus). Ces scènes, d’une extrême violence, m’ont personnellement été profondément insupportables, de là à me pousser à vouloir quitter la salle (je ne suis pas la seule). Je me demande alors comment on peut penser la représentation d’une scène d’une telle violence possible et acceptable, sachant qu’au début des deux scènes nous voyons  Jacques traîner Marguerite, sanglotante et se débattant, vers la chambre ; cette scène nous permettait déjà largement de comprendre la violence en cours et à venir. Il n’était alors pas indispensable de représenter le viol à l’écran pour comprendre qu’il avait lieu et c’est pourtant ce qui a été fait. Tel est le cas dans de nombreux films comme l’excellent Revenge (2018) de Coralie Fargeat, où la très violente scène d’agression aurait pu ne pas être montrée sans que le film ne perde son sens. Pourquoi ce besoin de retransmettre les violences sexuelles et les viols à l’écran ? 

Remettre en question les choix scénaristiques de Ridley Scott est important , car bien sûr, il n’est pas le seul et sûrement pas le dernier à représenter les viols et les violences sexistes et sexuelles de cette manière à l’écran. Je comprends l’importance pour certain.e.s de mettre tous les détails en image, ou encore pour d’autres l’importance de déconstruire le point de vue masculin du viol – c’est ce qu’a fait Charlène Flavier dans son film Slalom (2021), qui, en changeant l’angle de la caméra piège le spectateur à la place de la personne agressée, le malaise se faisant directement ressentir. Son but ici est de montrer la vérité, celles des femmes agressées et de dénoncer ces crimes. 

Slalom – Charlène Flavier

Mais il me semble tout de même parfois difficile de comprendre la pertinence de certaines scènes de viols et d’agressions sexuelles. Tel est le cas dans Le Bal des Folles de Mélanie Laurent ou encore dans 12 Years of Slave de Steve Mcqueen où les mots prononcés et l’ambiance de violence présente avant l’acte nous indiquent et informent sur la scène à venir qui peut alors nous être épargnée. Il convient de questionner la nécessité de ces scènes lorsqu’elles peuvent en réalité nous être racontées ou imagées de manière symbolique. Parfois un mot vaut mille images, comme dans Le monde de Charlie de Stephen Chbosky ou (attention spoiler) l’on comprend que le personnage principal, Charlie, a été abusé sexuellement par sa tante lorsqu’il était plus jeune. Ce retournement de situation est amené au travers d’une discussion entre le personnage et sa psychiatre. Aucune scène explicite de viol n’est réalisée, elle n’est pas nécessaire pour comprendre la situation. C’est aussi le cas dans le film Les Chatouilles d’ Andréa Bescond et Éric Métayer, dont l’histoire, se basant directement sur des agressions sexuelles à caractère pédo criminel, ne représente jamais de manière imagée ces scènes (encore merci). Le silence, la gestuelle et les regards suffisent et ne rendent pas le film moins glaçant et révoltant.

Mais serait-il bon de moins représenter la violence ?

Au cinéma, qu’elle soit invisible ou exacerbée, la violence reste essentielle dans la représentation de la vie quotidienne (et pas que). La représentation des viols à l’écran, étant aussi une manière de choquer le public et de dénoncer ces crimes, est pensée comme ayant sa place à l’écran, au même titre que d’autres formes de violence. Je suis en partie d’accord avec ces propos, mais affirmer l’importance des représentations d’agressions sexuelles à l’écran revient à nier les stéréotypes que diffusent celles-ci mais aussi à comment ces scènes conduisent à un certain voyeurisme chez le.a spectateur.ice. Une très large majorité des scènes d’agressions sexuelles et des viols au cinéma servent la culture du viol et les stéréotypes misogynes sur celui-ci. Ces scènes renvoient aussi à une image totalement fantasmée de ces agressions. Ces scènes sont réalisées d’un point de vue masculin et renforcent dans la plupart des cas l’image d’un viol qui laisse des marques physiques, perpétué par un inconnu armé d’un couteau dans une ruelle sombre. Ce qui est une fausse vision et représentation des viols. Les scènes de viols et d’agression sexuelles comme dans Irréversible de Gaspar Noé ou encore dans Millénium de David Fincher sont à la fois violentes, crues mais aussi empruntes de la culture du viol [2]. Ce qui fait que beaucoup de scènes d’agressions sexuelles sont détournées par les spectateur.ice.s (certaines scènes de viol présentes dans les films se retrouvant sur des sites pornographiques, coucou Irréversible de Gaspar Noé). Le point de vue adopté par la caméra et la violence assumée de ces scènes d’agressions est problématique.

Irréversible – Gaspar Noé

Comment penser la violence de manière générale au cinéma alors ? Pourquoi représenter un meurtre serait acceptable mais pas un viol ?

La violence existe et existera toujours au cinéma, elle prend plusieurs formes à l’écran, du combat à l’assassinat, de l’agression au viol. Mais je pense que ces violences ne revêtent pas la même idée ou valeur une fois représentée sur grand écran. Le meurtre restera éloigné du quotidien des spectateur.ice.s, il est assez lointain, comme s’il appartenait à une autre réalité tandis que le viol est présent partout, tous les jours. Un viol est déclaré toutes les 40 minutes en France. Il représente un poids constant sur le dos des femmes. Le meurtre appartient d’avantage à un imaginaire distant tandis que le viol est ancré dans le quotidien. C’est pour cela que si la présence des viols dans la fiction contribue à la  reproduction du réel, celui-ci ne peut être comparé à la violence des coups, du meurtre. Le viol appartient à un tout autre registre. La représentation de la violence physique au cinéma n’est pas du tout la même chose que la représentation des violences réalisées par les hommes aux femmes. Cette représentation des viols doit être davantage pensée par les réalisateur.ice.s, car elle engage leur responsabilité en tant que créateur.ice d’images. 

S’il est essentiel de parler des agressions sexuelles et de viols au cinéma, la représentation de ceux-ci dans l’histoire du cinéma, étant emplie d’un certain voyeurisme perpétuant les stéréotypes et banalisant ces crimes, questionne le recours à ces images de violences qui font aussi violence aux spectateur.ice.

Emma Revillet

Pour aller plus loin :
Podcast Peak Tv, épisode 40, Trauma Porn : quand les séries vont trop loin dans la représentation de la violence.

[1] Définition wikipédia, La culture du viol est un concept sociologique utilisé pour qualifier un ensemble de comportements et d’attitudes partagés au sein d’une société donnée qui minimisent, normalisent voire encouragent le viol.

[2]https://www.desculottees.com/2021/11/culture-du-viol-une-manifestation-de-la-societe-patriarcale/

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2 commentaires

  1. Excellent article, et surtout nécessaire ! J’ai eu le même ressenti de malaise devant Le Dernier Duel, malaise rajouté par la répétition de la scène et comment elle est insistée. Comme expliqué, c’était déjà sous-entendu, puis clairement dit dans le film, donc la montrer devient inutile, violent et abject. Et bien que j’aie beaucoup aimé ce film et voie derrière une déconstruction de la vanité masculine (où les hommes, dû à leur égo, ont une perception faussée du monde, qui les justifie toujours dans leur sens, comme ça ils ne se posent pas de question), cette représentation n’est pas justifiée, peu importe n’importe quel contexte.
    Un cas spécifique est celui de Perfect Blue, un film d’animation japonais de Satoshi Kon. Celui-ci met en place une actrice, forcée de filmer une scène de viol. Même si son cadre de travail est très professionnel et respectueux, elle reste très marquée par cet évènement (s’accumulant aux autres violences psychologiques du film, cette scène précisément n’est pas centrale dans le film). Le problème est que même si la démarche est là, le film en montre tout de même plusieurs, et est trop impactant.
    Dans le cas contraire, certains films abordent le sujet d’un point de vue bien plus astucieux et intelligent, montrant l’impact tel qu’il l’est. Je conseille surtout Promising Young Woman d’Emerald Fennell (qui ne prononce pas une fois le mot « viol », montrant comment notre société n’écoute tellement pas les victimes qu’elle ignore le terme), et le remake de 2020 de L’Homme-Invisible, parlant plus généralement des violences toxiques et manipulatrices dans le couple. Ces deux films ne victimisent pas leurs protagonistes féminines et montrent habilement des façades crues de nos relations humaines.
    Encore bravo et merci pour l’article.

    1. Merci de ton commentaire ça me fait super plaisir ! Je note tes suggestions et partage ton point de vue concernant Promising Young Woman d’Emerald Fennell (qui est un film que j’ai personnellement adoré), encore merci 🙂

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