« Pourquoi tu gâches tout ? On s’amusait bien. » Forcément, quand on évoque Peter Pan, on pense à Disney – une version plus qu’édulcorée du conte – et surtout, au thème – de prime abord central – du film : l’enfant qui ne voulait pas grandir. Alors oui, difficile de ne pas en parler. Pourtant, cette histoire explore d’autres thématiques, dont la plupart tournent autour de l’amour. 

Le héros de James Barrie (1902) a connu de nombreuses adaptation au cinéma. De Spielberg à la version de 2015 avec Hugh Jackman en passant par la tout première de 1924 jouée par une femme, une version est tombée dans l’oubli. Celle de 2003, de P. J. Hogan. Chaque soir, Wendy raconte ses récits épiques à ses jeunes frères. Jusqu’au jour où son père décrète qu’elle est désormais trop grande pour partager leur chambre. Ce qu’il ignore, c’est qu’un autre garçon, Peter Pan, se passionne lui aussi pour les histoires de Wendy. L’enfant embarque alors ses nouveaux amis vers le Pays imaginaire. Deuxième étoile à droite et tout droit jusqu’au matin.

Dans le roman comme dans le film, Peter a une personnalité bien plus complexe qu’il n’y paraît. Dans ce monde imaginaire, il joue, s’amuse, vole. C’est un enfant certes joyeux et innocent, mais sans cœur. Il n’hésite pas à se servir de Clochette, cette petite fée si fidèle et aveuglement amoureuse de lui, sans scrupule. Quitte à la remplacer par une autre fée à la première occasion. 

Plus qu’un récit, c’est un syndrome : Peter est au centre de son propre monde. Quand il s’absente, le Pays Imaginaire est plongé dans l’hiver. Cette contrée est d’ailleurs rythmée par un conflit éternel qui oppose notre protagoniste, le « héros », aux « méchants », les pirates, symboles des adultes cruels qui cherchent continuellement à ruiner les rêves des enfants. Ce double sens s’incarne dans les rôles miroirs du père des enfants Darling et du Capitaine Crochet. Tous deux incarnés par Jason Isaacs, ils représentent les obstacles au bonheur des plus jeunes.

Peter pourrait devenir un Crochet, et inversement

Pourtant, Peter n’est pas si différent des pirates qu’il combat avec tant d’ardeur. Ils sont hypocrites, traîtres, égoïstes, manipulateurs… Ça ne vous rappelle personne ? À plusieurs reprises, notre héros n’a pas hésité à faire souffrir ceux qui lui sont chers et qui ont confiance en lui. Il mentira à Wendy au sujet de ses parents. 

Nous sommes donc bien loin du personnage de Disney, lisse et innocent. Les rôles vont jusqu’à s’inverser dans la bataille finale. L’antagoniste est du côté clair du cadre quand Peter est plongé dans la partie bleue nuit, symbolisant sa part d’ombre qui vient d’être révélée. Le capitaine apparaît alors comme l’ombre de Peter. Comme le dit si bien l’homme au crochet, Peter va « mourir seul, comme [lui] ». Il lui renvoie sa propre image, une image qu’il déteste. Le spectateur est en droit de se demander si l’échec présumé de Pan dans ce combat est lié au sentiment qu’il éprouve de perdre Wendy à petit feu, ou au fait qu’il ne supporte pas de voir son vrai visage. Celui d’un jeune homme qui ressent, d’un enfant égoïste qui était prêt à tout pour tout avoir et d’un gamin qui se rend compte qu’il devra, à l’avenir, faire des concessions.

La barrière entre les deux personnages est de plus en plus fine. Peter pourrait devenir un Crochet, et inversement. Crochet aurait pu être un enfant perdu, comme en témoigne son côté joueur à certains moments du film. Leur relation ne pourrait alors se résumer à une haine entre deux ennemis. Les deux rivaux sont complémentaires et ont besoin l’un de l’autre. 

Entre peur de l’engagement et ode à l’amour 

Outre son penchant brigand, le personnage de Peter a bien d’autres dimensions. C’est un enfant dépourvu d’amour, qui ne veut pas grandir. Pourtant, il aime sa liberté. Il rêve de vivre éternellement sans responsabilité et donc, a inévitablement peur de l’engagement (#comme moi). Il est prisonnier de son propre monde et ne sait plus faire la différence entre jeu et réalité. « C’est seulement pour faire semblant nous deux ? », demande-t-il à Wendy. Non, mais il ne s’en rend pas compte. Ou ne veut pas s’en rendre compte. Si Wendy tombe amoureuse dès le début et ose lui en parler, son nouvel ami recule en entendant le mot « sentiment ». Il prend la fuite en abandonnant Wendy dans la forêt pour se réfugier dans l’enfance. Plutôt que d’affronter la réalité de ses sentiments naissants, il choisit la facilité, moins terrifiante. Cet inconnu effraie Peter, la stabilité qu’il a toujours connue est ébranlée. Risquer d’aimer, c’est risquer d’admettre qu’il peut changer, qu’il peut grandir. En se réfugiant dans le déni, notre jeune héros se protège de souffrances potentielles mais se prive simultanément de joies certaines, et d’un bonheur, certes éphémère, mais si tentant. Si pour lui, l’amour est une faiblesse, un sentiment idiot qui n’engendre que problèmes et choses sérieuses, le garçon du Pays Imaginaire refuse d’affronter sa peur et reste prisonnier de son malheur. 

Alors, quand il commence à ressentir des sentiments confus pour Wendy, il remplace les baisers par des dés à coudre. Au grand dam de Wendy qui elle, se sent prête. Tout au long du film, les deux enfants jouent au chat et à la souris, entre fuite de Peter et espoir de Wendy. C’est seulement lors du combat final que Peter comprendra et acceptera – de prime abord – ses sentiments. Le baiser de l’aînée des Darling lui donne la force de se battre et de continuer à vivre. L’amour apparaît alors comme un atout. Pourtant, c’est ce dernier qui l’avait mis dans cette situation d’échec. Ou plutôt, la peur de le perdre. Une situation à double tranchant. Peter devra alors faire un choix. Après le combat, souhaitera-t-il grandir, et connaître ce bonheur malgré sa peur, ou restera-t-il dans son monde imaginaire ?

Finalement, Peter Pan est, à sa façon, une ode à l’amour, sous bien différentes formes : le lien que Peter et Clochette partagent, et qui sauve cette dernière quand elle risque sa vie pour notre héros, la confiance aveugle que les enfants perdus ont en leur chef, mais aussi l’amour intense que les membres de la famille Darling partagent. 

Le thème de la famille, intimement lié à celui de l’amour, est l’autre sujet phare du film. Les premiers conflits naissent autour de la place de Wendy au sein de la sienne. C’est une enfant qui doit grandir, mais pas trop vite (Dieu nous en garde, elle ne devrait pas dessiner de garçons sur ses cahiers d’école !) Ses frères, quant à eux, la voient comme une sœur mais aussi comme une seconde maman. Cette idée se concrétise lorsqu’elle accepte le rôle de la mère des enfants perdus afin de compléter la famille factice gouvernée par Peter, artifice dont les plus jeunes ne semblent pas pouvoir se passer. Cette famille d’adoption, sous couvert d’un jeu innocent, révèle en réalité leur besoin d’amour, leur désir d’affection et de tendresse, naturel et inévitable à cet âge-là. 

Ce désir ramène finalement Wendy et ses frères auprès de leurs parents à la fin du film. En plus d’être réunie, la famille s’agrandit, lorsque les enfants perdus rejoignent la fratrie et décident de rester, eux aussi, dans le monde réel, et d’abandonner Peter. Pas un au revoir, pas même un regard en arrière. Une fois qu’ils franchissent le seuil de la chambre, le Pays Imaginaire et leurs aventures semblent déjà oubliées. Seule Wendy ne peut s’empêcher d’interpeller Peter quand celui-ci, incapable d’entrer dans ce chalereux foyer, s’envole avec Clochette. 

« Vivre serait une sacrée belle aventure »

L’amour de Wendy, plus fort que les autres, ne s’estompera jamais avec le temps. Tous les soirs, elle espérera revoir à sa fenêtre l’ombre du garçon espiègle à qui elle a offert son cœur, et son premier baiser. Mais Peter ne reviendra pas. Pas avant un certain temps en tout cas. L’amour du garçon pour Wendy le pousse à la laisser partir. Par cet acte final, il accepte de la rendre à la réalité plutôt que de la garder à ses côtés, prisonnière du Pays Imaginaire. Il lui donne ainsi la possibilité de l’oublier, d’avancer, de grandir et de vivre. Revenir la voir signifierait entretenir l’illusion que la cohabitation de leurs deux mondes est possible. Peut-être serait-il aussi trop difficile pour notre héros de la voir s’éloigner de lui, un peu plus à chaque visite. 

Peu importe son motif, Peter ne peut plus revenir à la réalité. Refusant d’abandonner ses convictions, il retourne au Pays Imaginaire dont le nom anglais reflète mieux la vraie nature. Neverland : le pays dont on ne revient jamais, une illusion qui emprisonne Peter dans une fiction permanente, où il vivra, éternellement « seul et sans amour ». Mais rejeter la mort, est-ce vraiment exister ? L’un ne va pas sans l’autre, et notre héros le sait. Les derniers mots de Peter Pan en sont la preuve. « Vivre serait une sacrée belle aventure ». Sous-entendu, vivre sans amour, ne vaut pas le coup.

Salomé Ferraris et Angela Moschetto

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