Le plus indispensable des cinéastes français revient en 2022 avec un film puissant, désopilant mais déconcertant.

Le premier plan étonne : Clermont-Ferrand, ses habitants, son tramway et sa statue de Vercingétorix. Difficile de concevoir qu’on est chez Guiraudie tant ce dernier nous avait habitués aux grands espaces pittoresques dans ces précédents films (le causse de Lozère de Rester vertical, le lac de Sainte-Croix de L’Inconnu du Lac). Au milieu de l’environnement bétonné de la métropole des Arvernes, un homme court. C’est le leitmotiv de ce film : l’amour en fuite, les baisers volés et l’insaisissabilité des humains. Ce coureur du dimanche s’appelle Médéric, il est interprété par Jean-Charles Clichet, un acteur à mi-chemin entre Depardieu et Macaigne. Il est mou, léthargique, ce qui ne l’empêche pas d’aimer Isadora, une prostituée, mariée et génialement interprétée par Noémie Lvovsky. Cet amour improbable toujours empêché se fait sur fond d’attentat terroriste alors même que Médéric héberge à son domicile un jeune sans-abri qu’on accuse être l’un des complices de cet attentat. Tout est chaos, la ville est plongée dans la paranoïa.

Cet amour inédit est la première couche d’un amoncellement de situations absurdes qui s’entrechoquent. Le film brasse les angoisses de notre époque et les désactive par des saillies comiques. Là se trouve la force du film qui ne vire jamais dans le mélo et les clichés. Au contraire, de l’absurde naît la réflexion qui pousse le spectateur à se remettre en question. Guiraudie, grand cinéaste politique. On le savait déjà, il transforme l’essai sur ce film. Et cela tient aussi à la performance des acteurs. Ce Médéric mou qu’on croirait sortit d’un film de Truffaut et cette Isadora si lascive ne se dérobent jamais devant les obsessions de Guiraudie : le sexe et la politique. Ils se montrent, dévoilent leurs corps si peu conventionnels dans le cinéma contemporain. En ce sens, le film est engagé. A cela s’ajoute toute une réflexion sur l’accueil de l’autre, le terrorisme et le fondamentalisme religieux. Guiraudie pose les bonnes questions. Elles découlent toujours de longs dialogues très rohmériens. Une discussion entre voisins, la location d’une chambre d’hôtel, chaque action est prétexte à l’introspection. Ainsi le réalisateur réussit le pari de montrer des scènes inouïes que n’importe qui aurait trouvé infaisable : une étreinte sur une colonne de la cathédrale de Clermont-Ferrand, un cunnilingus dans un confessionnal, un dépucelage si bruyant qu’il résonne dans les cages d’escalier d’un immeuble…

Cette accumulation de scènes fulgurantes qui s’entrecroisent est cependant la faiblesse du film qui devient alors frénétique mais qui manque un peu de consistance. On a l’impression que le film finit par nous glisser entre les mains. Paradoxal car jamais Guiraudie n’avait filmé autant le matériel, la consistance des décors d’une capitale régionale. Les grands espaces infinis de ces précédentes œuvres arrivaient à faire ancrer profondément les personnages dans le sol en leur donnant de la chair. Là, à force de course, d’impossibilité qui s’entassent, des retournements de situations, on finit par perdre de vue l’intrigue qui débouche sur un vaudeville moyennement maîtrisé. Les personnages se multiplient et les intrigues avec. Seul un Resnais ou un Desplechin peuvent faire exister quinze personnages le temps d’un film. Guiraudie manque de toucher la grâce.

Beau film donc, mais pas le meilleur de son réalisateur dont l’œuvre protéiforme constitue une filmographie unique du cinéma français. L’œuvre de Guiraudie remue dans les brancards du conformisme qui assèche le cinéma mondial, c’est donc un immense réalisateur à découvrir le plus vite possible !

Omer Gourry

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